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Éva a lu pour vous ..

Chroniques littéraires

La mort de Fernand Ochsé

Benoît Duteurtre

Librairie Arthème Fayard

2018

285 pages

Biographie

Chronique

28 mai 2018

Ce livre est un vibrant hommage à toute une génération d'artistes qui savaient créer la joie, la fantaisie, la beauté avec sérieux, talent, humour. De la fin du XIX ème siècle jusqu'à la seconde guerre mondiale avec l'effroyable passage de 14/18 , l'effervescence des théâtres, le nombre de créations d'opérettes, puis de spectacles de music-hall est à peine croyable.

Cette inconscience, cette innocence, ces dandys, ces salons, ces femmes de la haute société mécènes et lanceuses de mode, cette acceptation comme une évidence de la pluridisciplinarité de certains artistes, impossible aujourd'hui en France , cette façon de vivre vraiment, à la folie, en toute liberté, qui s'est accentuée après la boucherie des tranchées, comme pour rattraper un temps perdu de l'enfance ou accumuler des souvenirs avant de nouveaux désastres, ont mis Paris au centre du monde par la qualité de ses artistes, par la liberté d'entreprendre, d'essayer, de créer en collaboration avec d'autres, de nouvelles tendances, des mouvements modernes, avant gardistes.


Un être d'exception est au centre de ce si beau livre, qui nous fait revivre de merveilleuses heures, en nous rappelant des airs connus, des mélodies ravissantes, des images sublimes ou drôles, ce personnage d'importance aujourd'hui oublié est Fernand Ochsé.

Avec le brio qui le caractérise, avec passion, amour, regret, joie et tristesse, Benoît Duteurtre s'est attaché à lui rendre sa place de magicien, de peintre, décorateur, musicien, littérateur, illustrateur.


Comme il devait être exaltant de vivre une telle époque où tous les grands noms de la scène et de la création se côtoyaient, se frôlaient, se détestaient ou s'aimaient jusqu'au delà de la mort. Une vie douce et brillante comme une bulle de champagne qui brusquement éclate au premier son des bottes nazies. Pourquoi n'ont ils pas anticipé le danger que représentaient Hitler, ses sbires, certains critiques et célébrités française, Pétain en tête ?


Celui-ci va s'acharner comme pour punir ceux qui vivaient dans la légèreté, la beauté et surtout la liberté de penser. L'antisémitisme, cette bête immonde a grossi, ces griffes ont attrapé ses premières proies en Allemagne et à l'Est. Ces artistes sont venus à Paris pour fuir puis ont vite compris la nécessité de partir encore plus loin, aux USA. Certains y réussirent merveilleusement comme Kurt Weill, d'autres y disparurent dans l'obscurité.


Passage dans la zone libre pour les Ochsé à Cannes dans un hôtel où tout le beau monde se retrouve pour continuer à créer, composer, chanter, dessiner, afin de contrer toujours le mal. Puis pour Fernand et sa femme Louise, sculpteur, ex épouse du frère de Fernand, c'est la rafle imbécile en cette fin de conflit dans une maison particulière où ils étaient réfugiés grâce à l'appui d'amis artistes célèbres.


Tout le patrimoine de Fernand Ochsé a en grande partie disparu, les tableaux, œuvres d'arts, des automates d'une grande rareté, des meubles précieux.... Issu d'une famille aisée, ayant travaillé toute sa vie, le couple avait amassé de vrais trésors dont certains comme " le souper au bal" de Edgar Degas aujourd'hui à Orsay. Des recherches actuellement sont menées quant aux drôles de voyages qu'ont faits ces œuvres pour se retrouver d'abord en Allemagne puis dans les musées français. On ne sait comment se déroula vraiment la rafle, on ne peut qu'imaginer le pire, l'horreur. On ne sait s'ils étaient à leur âge, déjà affaiblis par des années de privation, capables de supporter un tel périple de la mort, ou s'ils ont bien débarqué à l'effroyable Auschwitz.


Tout le monde se mobilisa comme ce fut fait pour d'autres déportés dont les noms sont injustement oubliés. Des personnes illustres se sont élevées contre cette barbarie, ont écrit des pétitions, rien n'y fit. La tourmente avait tout emporté. Reste le souvenir, les témoignages de Gisèle Casadesus par exemple, dont le père était ami avec Fernand, qui venait toutes les semaines déjeuner chez eux à Montmartre, ou Honegger dans « Je suis compositeur » :

« Il y a encore une personne que je ne cite pas quand on me parle de mes influences et, pourtant, c'est un homme qui m'a apporté plus dans ma carrière que certains maîtres. Je veux parler de Fernand Ochsé, musicien, peintre, littérateur, décorateur, qui a eu sur mon développement la plus heureuse action. Il fut pour moi un ami incomparable, à qui je garde une profonde reconnaissance. Sa disparition, pendant les jours sombres de l'Occupation, reste un des plus profonds chagrins de ma vie. Depuis, je n'ai jamais entendu une nouvelle œuvre écrite par moi sans me demander : Qu'en aurait pensé Fernand ?»


De son œuvre musicale il reste deux recueils de mélodies ( Odelettes, sur des poèmes de Régnier, et Le Parc sur des poèmes de Verlaine) et quelques chansons créées par Edmée Favart. À la Bibliothèque Nationale, on peut également consulter un volume de musique manuscrite conservé par Arthur Honegger et déposé par sa fille. Son opérette Choucoune mettant en scène des noirs bénéficia au moins d'une représentation mais ne fut jamais montée. Il n'en eut pas de rancœur et continua à promouvoir et aider les autres compositeurs et créateurs. Un être d'exception !


Il ne faut surtout pas résumer cet homme charmant, cultivé, généreux et talentueux à sa fin, surtout pas. « Son histoire nous montre pourtant autre chose : un jeune français d'ascendance juive accueilli et admiré dès ses débuts dans la société artistique et dans le monde du spectacle, où son talent allait s'épanouir très favorablement ; un esthète vivant pour son art comme ses camarades, partageant les mêmes préoccupations et les mêmes enthousiasmes ; un amoureux de l'esprit parisien, de la finesse et de l'ironie, vivant au sein d'un milieu très soudé, par-delà les origines et les convictions. »


Tout un pan de notre Histoire est ici décrit avec précision et amour. On sent la tristesse et la nostalgie à l'évocation de ce monde perdu. Chanteuse lyrique, j'ai eu la chance d'interpréter dès le Conservatoire de Paris nombre des pièces et œuvres de ce répertoire, incontournable et essentiel. Et comme il est agréable, joyeux et intéressant de chanter « j'ai deux amants » dans « l'amour masqué », les airs de la Grande Duchesse de Gerolstein, ou de la Perichole, ou de faire chanter les duos et ensembles de Ciboulette, du Gril, etc....


Le chapitre p 140 est bouleversant et touchant intitulé Gisèle et Fernand. Je vois passer au loin les ombres de Fernand, son frère Julien, Proust, Reynaldo Hahn, Messager, Honegger, Ravel, Poulenc, Debussy, Stravinsky, Milhaud, Henri de Régnier, Casimir Oberfeld auteur entre autres merveilles de « Félicie aussi », Mistinguett, Arlety, Edwige Feuillère, Bourvil, Fernandel, Gabin, Yvonne Printemps........


Vraiment un très beau livre nécessaire à la compréhension de toute notre culture. Souhaitons revenir à de tels moments de joie et de camaraderie artistiques en France.

Quatrième de couverture

" On a oublié combien Paris fut une ville heureuse : capitale des plaisirs où les plus grands artistes adoraient le café-concert, le music-hall et l'opérette aux mille succès repris dans le monde entier.
De 1900 à 1940, Fernand Ochsé fut un personnage central de cette fabrique d'enchantements. Dandy proustien de la Belle Époque, tour à tour dessinateur, compositeur et décorateur, il allait contribuer à d'importantes créations théâtrales, mettre le pied à l'étrier du jeune Arthur Honegger, collectionner les tableaux rares et les objets étranges.
Son goût de la douceur de vivre ne l'empêchera pas de se voir rattraper par la brutalité de l'histoire et d'embarquer, comme juif, dans le dernier convoi pour Auschwitz. À travers son destin, c'est au basculement d'un monde que nous assistons. Basculement d'autant plus tragique que presque rien n'a subsisté de cette école de la légèreté souvent dédaignée dans la seconde moitié du XXème siècle. Artiste plein de charme dans l'ombre d'amis plus illustres, Fernand Ochsé est un guide idéal pour redécouvrir ces années modernes et joyeuses qui ont tant contribué au mythe parisien. "

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