
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
La mémoire retrouvée
Edmund de Waal
Albin Michel
19 janvier 2011
414 pages traduites par Marina Boraso
Historique
Chronique
18 août 2017

Titre original : « The hare with amber eyes »
Le lièvre avec les yeux d'ambre est un Netsuke ou petite statuette miniature japonaise très délicate et précieuse. Edmund de Waal est céramiste et un des derniers descendants d'une famille juive célébrissime les Ephrussi tant à Paris qu'à Vienne, Odessa, Londres, etc.... Ce sont des banquiers et des mécènes, non pratiquant, non sioniste, donnant le maximum d'eux mêmes dans le pays d'adoption où ils s'installent. Ainsi Edmund hérite de son grand oncle Iggy ou Ignace une collection exceptionnelle de Netsuke. À travers le long parcours de celle-ci de Paris chez Charles de 1871 à 1899, à Vienne chez Viktor de 1899 jusqu'à 1947 puis le Japon chez Iggy de 1947 à 1991, pour enfin arriver chez l'auteur à Londres, celui-ci retrace le destin de cette famille cosmopolite au destin fabuleux et tragique. Charles Ephrussi le premier propriétaire est un collectionneur esthète qui dans son hôtel particulier recevra les plus grand peintres et écrivains de l'époque . Ayant quitté Odessa avec deux de ses frères il a réussi son intégration en France ; on croise Renoir, les impressionnistes, il sert de modèle au personnage de Swann de Proust. Il offre donc à son cousin Viktor pour son mariage avec la belle Emmy sa collection de Netsuke dans sa vitrine. Celle-ci va être installée dans le dressing de la maîtresse de maison. Ses trois enfants dont Elisabeth la future mère de Edmond jouent avec ces délicates et néanmoins solides miniatures tous les dimanche matin lors de leur visite à Emmy. Ainsi cette collection est le témoin silencieux de l'antisémitisme affolant lors de l'affaire Dreyfus à Paris puis à Vienne. La communauté viennoise a toujours été protégée par l'empereur. À sa mort, les forces du mal se déchaînent contre tous les juifs. Retour de Hitler dans sa mère Patrie et le démantèlement des grandes fortunes juives, le rapt de leurs biens, la saisie illégale de leur maisons. Et les Éphrussi avec leur palais, leur richesse, leur ostentation inconsciente seront les premières cibles des nazis et de la gestapo. Exil, coeur écrasé de douleur, l'un part aux Usa, l'autre en Angleterre, plusieurs finissent dans les camps ou se suicident.... Mais qu'est devenue la collection de netsuke ?
Livre bouleversant, précis dans les faits, sans pathos et sentimentalisme inutile, à l'écriture ciselée et à la construction en quatre parties plus l'épilogue, c'est évidemment la famille Ephrussi qui est au centre de cette saga mais également Edmund De Waal nous décrit toute une époque de la commune jusqu'après la seconde guerre mondiale tant à paris que Vienne, bien entendue dans une bonne société riche, huppée, éduquée, intellectuelle, protectrice des arts. Beaucoup de différences psychologiques et de mentalité entre la France et l'Autriche, celle-ci n'en sortant décidément pas grandie quant à son allégeance au nazisme et sa collaboration puis son hypocrisie après guerre et jusqu'à peu pour la restitution des biens aux familles juives spoliées. On sait que la France non plus n'a pas eu le courage souvent de s'opposer a Hitler et ses troupes mais dans ce livre c'est l'histoire viennoise qui est traitée.
Ainsi Edmund de Waal céramiste, réussit à faire revivre les membres de sa famille à travers les objets qui étaient leurs.« De la splendeur des Ephrussi ne reste que cette collection de miniatures, réalisées par des artistes anonymes, elle sont le témoin de la fragilité de la condition humaine. »Magnifique livre !