Tome 4 des enquêtes d'Hippolyte Salvignac.

Un sans faute encore une fois. Plongés à cinq ans de la première guerre mondiale, les esprits s'échauffent en ce printemps et viendront à incandescence en juillet 1909 à quelques jours de la démission de Clémenceau de son siège de Président du Conseil. Rien ne va plus, les grèves se multiplient, le recours à la force pour juguler les manifestations est malheureusement signe de la faiblesse du Tigre en situation instable. Évidemment, les extrémistes de gauche comme de droite y voient l'occasion rêvée de gagner des points, d'accéder au pouvoir. l'Europe entière est une cocotte minute, et comme d'habitude, des courants de pensée nauséabonds se déversent en France et également en Autriche Hongrie. François-Joseph, Kaiser und König, est un souverain dont le pouvoir est remis en question. Des mouvements séparatistes, nationalistes et antisémites se disputent le bout de gras.

La guerre se profile, l'inimitié entre la Prusse et la France est toujours autant d'actualité, les tractations diplomatiques souterraines sont frénétiques... Les services secrets, la sécurité intérieure et les relations étrangères sont en effervescence. C'est dans ce contexte anxiogène, qu'un homme est retrouvé poignardé, sans papier d'identité, à Paris. C'est l'inspecteur Lerouet qui est en charge du dossier. Après une courte enquête, ce fin limier comprend que la victime est étrangère quand il retrouve un message glissé dans l'ourlet intérieur du chapeau du mort. Il lui vient alors à l'esprit de demander à la compagne de son amie Hippolyte Salvignac, Léopoldine Barbinie, artiste peintre, de lui traduire ce texte si elle réussit à reconnaître sa provenance. En effet, franco-hongroise, grâce à ses séjours chez ses grands-parents maternels en Transylvanie, la jeune femme parle parfaitement hongrois et allemand. Et pour elle pas de doute, le message retrouvé est écrit en hongrois. Ainsi, grâce aux explications de Léopoldine, nous voici projetés en même temps que le policier dans l'Histoire tortueuse de l'Empire austro-hongrois et de son organisation politique complexe en cette année 1909. Heureusement elle est un très bon guide.

Pendant ce temps là, Hippolyte a répondu à l'invitation du tuteur de Lerouet, le Marquis de Villebrosse, résidant en son château de Sologne. Sentant ses dernières forces l'abandonner, il souhaite l'avis de l'ancien antiquaire sur l'héritage qu'il souhaite laisser à son filleul. D'autre part, il lui demande de chercher, une dernière fois, dans ses papiers et archives, une piste les menant au nom du géniteur réel du policier.

Ainsi, à l'enquête officielle aux ramifications internationales, Philippe Grandcoing continue à lever le voile sur la vie intime de ses personnages récurrents, Hippolyte, Lerouet et Léopoldine. On ressent les premières secousses qui vont bientôt ébranler les fondations de l'ancien monde en ce début de XX ème siècle encore tourné, mais pour peu de temps, vers le siècle précédent. Les derniers vestiges de cette société ultra corsetée et inégalitaire vont tomber pour entrer avec douleur dans l'ère moderne. L'auteur nous brosse, grâce à ce thriller policier historique très réussi, un tableau précis de la situation géopolitique de l'époque, des enjeux, des responsabilités de chacun. On ressent fortement à quel point l'aveuglement pouvait être total chez certains pendant que d'autres, telle Cassandre, annonçaient les cauchemars à venir.

Une frénésie de vivre pleinement s'empare du couple Léopoldine-Hippolyte, se plongeant dès qu'ils le peuvent dans une fièvre amoureuse, tout en menant l'enquête auprès de Lerouet à la demande de George Clemenceau. Fatalement, la piste devra être suivie jusqu'à Vienne, ville dont le maire est un antisémite dangereux créant une ambiance délétère pour nombre d'artistes, savants et intellectuels de renommée internationale. La laideur de cette haine côtoie la beauté, le raffinement et l'esprit d'innovation les plus extrêmes, symbolisés par Klimt, Freud, et tant d'autres, architectes, musiciens, chefs d'orchestre....

Le monde bascule irrémédiablement et nous sentons le pont du paquebot géant qu'est l'Europe plonger vers les abîmes. Un quatrième tome effrayant tant certains événements semblent se perpétuer inlassablement encore aujourd'hui. Des personnages principaux particulièrement bien mis en scène, un suspense soutenu, une construction au cordeau comme toujours. Une oeuvre située à un instant T du destin de l'humanité qui par le traitement de certaines questions cruciales quant au pouvoir, à la manipulation des esprits et les extrémismes, devient intemporel comme le sont toutes les grandes tragédies. Philippe Grandcoing est un historien et un écrivain-artisan d'art. Très bel ouvrage !