
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
La Chance sourit aux audacieuses
Véronique Chauvy
de Borée
Le 3 avril 2025
320 pages
historique
Chronique
3 juin 2025

Tout commence et finit à Volvic, terre de lave d'où s'extrait une pierre, source de richesse pour le pays, utilisée pour les tombes et monuments funéraires ou de commémoration. Ainsi sera-t-elle appréciée des architectes et décorateurs d'intérieur.
Mais ne brûlons pas les étapes. Voici Virginie, jeune fille de bonne famille éduquée selon des principes stricts à l'image de la société corsetée de l'époque, dessinatrice talentueuse, condamnée par un père rétrograde, Louis Domais, à un mariage arrangé avec le fils d'un autre propriétaire de carrière, Jean-Émile Jarrion. En terme clair, elle est utilisée comme monnaie d'échange afin que les deux bourgeois puissent encore plus s'enrichir. Mais il y a un hic et de taille ! Le garçon choisi est un fat, un mysogine méprisant, qui pense que la place des femmes est à la maison à élever les rejetons et à se taire. La passion de notre héroïne pour son art, son caractère bien trempé et son désir d'indépendance, lui font prendre la seule décision possible : fuir. Avec l'aide de son ancienne institutrice, elle part en catimini pour Paris chez le frère de l'enseignante. Elle deviendra la secrétaire de ce dernier, propriétaire d'un magasin de monuments funéraires non loin du cimetière du Père-Lachaise.
Dans la capitale, la pierre de Volvic n'est plus à la mode. Cependant la jeune fille, tout en remplissant son rôle de secrétaire, dessine peu à peu de nouveaux modèles et gagne la confiance de son patron. Nous découvrons les coulisses d'une activité peu connue d'autant plus en ce début du XXe siècle. Tous les corps de métier sont présentés, au gré des visites de Virginie aux différents ateliers. Sculpteurs, graveurs, et bientôt émailleur sur lave. En effet, elle ne perd pas espoir quant à la réutilisation des matériaux de son pays en architecture et art funéraire.
Nous sommes au début d'une aventure personnelle, amoureuse et artistique hors du commun, grâce à ce personnage attachant et singulier allant à l'encontre des attentes de son temps, poursuivant ses rêves, s'adaptant aux métamorphoses de la société, des goûts, des techniques, devenant un élément reconnu du monde restreint des grands noms de l'Art Nouveau puis de l'Art Déco.
Difficile pour une femme de mener une carrière, de s'y adonner avec ambition, sans économiser son temps et son énergie lorsque, par habitude, par commodité, les hommes de son entourage professionnel, jusqu'à son compagnon, ne lui donnent pas la place qu'elle mérite. Quand la maternité s'invite dans sa vie tournée toute entière vers la création, notre héroïne culpabilise, écartelée entre ce qu'exige les autres et ses aspirations profondes. Toute la question épineuse de l'instinct maternel est ici évoquée avec une délicate justesse.
Le chemin est encore long pour atteindre à une forme d'émancipation espérée par toutes. Ainsi, en mettant nos pas dans ceux de Virginie, nous parcourons un chemin ardu, d'initiation à une nouvelle vie, qu'il va falloir inventer jour après jour malgré des règles sociétales injustes et contraignantes.
Mais le talent est là, sans genre, qui ouvre des portes insoupçonnées.
Ce livre réjouira tous les amoureux de Paris, de ses monuments, de ses grands magasins, d'un certain art de vivre, tous les admirateurs de certaines façades d'immeubles tel l'hôtel particulier au 11 cité Malesherbes dans le 9e arrondissement dont les ornementations créées par le peintre Jollivet, ( auteur également des fresques de l'église Saint-Vincent-de-Paul), ont été réalisées par les ateliers d'émaillage de la rue Fénelon, de François Gillet, servant d'inspiration au personnage de Basile Garrel ; ils ont aussi oeuvré à l'élaboration de nombreux éléments d'urbanisme telles les entrées du Métropolitain parisien ou, en province, la maison Coilliot à Lille, 14 rue de Fleurus.
Ainsi, avec toujours un immense talent de conteuse qui ne cesse de s'affirmer d'année en année, Véronique Chauvy nous permet de côtoyer tous ceux, Van de Velde, Tiffany, Émile Gallé, René Lalique, Hector Guimard, Frantz Jourdain... ayant atteint une immense notoriété grâce à leurs œuvres inoubliables créées pendant près de 30 ans.
Ancienne designer et styliste, passionnée d'architecture, de décoration, d'artisanat d'art, j'ai lu ce roman avec un réel plaisir en tant que mordue de lecture mais aussi parisienne, admirative de sa ville, heureuse de la voir à nouveau resplendir à travers ces pages somptueuses.
Fresque historique réussie et roman intimiste touchant, ce nouvel opus de Véronique Chauvy ne pourra que vous enthousiasmer. Je suis heureuse de l'avoir dans ma bibliothèque avec tous les titres précédents de l'autrice. Une mention spéciale pour la très jolie couverture.
Merci infiniment à Véronique Chauvy pour ce voyage dans le temps dans un monde de beauté et d'effervescence artistique.
