
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
La Ballade du café triste et autres nouvelles
Carson McCullers
Editions des Femmes Antoinette Fouque
2022
5 h 30, traduction de Jacques Tournier
Classique
Chronique
9 juin 2022

Réalisation Francesca Isidori. Ce livre audio a été publié avec le soutien de la SCPP.
Musique :
- Scènes d'enfants, op. 15, n°1 : « Gens et pays lointains » et « Scènes de la forêt », op. 82 ; « L'Oiseau prophète » de Robert Schumann, exécutés au piano par Ronan O'Hara.
- Musique originale de Chris Lancry interprétée à l'harmonica par le compositeur :
L'écriture de La Ballade du café triste, longue nouvelle ou court roman commença pendant l'été 1941. Carson McCullers voulait ajouter deux autres nouvelles de taille identique mais elle prît du retard, en pleine rédaction de Frankie Addams. Elle repousse donc le projet de deux ans. La Ballade paraît dans le magazine Harper's Bazaar en 1943.
Ce n'est qu'en 1951 que le texte est édité avec l'ajout de 6 autres nouvelles déjà parues dans divers magazines.
Titres des Nouvelles :
1 à 7 La Ballade du café triste
8 Wunderkind
9 Le Jockey
10 Madame Zilensky et le roi de Finlande
11 Celui qui passe
12 Un problème familial
13 Une pierre, un arbre, un nuage
Ce sont des portraits d'êtres en perdition, en recherche continuelle et obsessionnelle d'amour souvent pas ou mal partagé, de chaleur. Ils veulent mettre fin à leur solitude mais ont de telles difficultés à communiquer aux autres leurs sentiments que cela est peine perdue. Carson McCullers est incroyable de justesse d'analyse sans jamais aucune concession avec la réalité, dans un refus total d'enjoliver le tableau.
La Ballade du café triste met en scène un trio amoureux des plus improbables. La figure dominante est Amelia, la femme hommasse aux manières brusques, sur laquelle des rumeurs courent... Elle a le don de soigner ses semblables et de savoir distiller de l'alcool. L' ambiance Sud profond de cette petite ville est très bien rendue. Arrive un matin un curieux personnage, un bossu qui dit être le cousin de Amelia. Est-il sorcier, elle l'accepte chez elle, lui fait vraisemblablement une place dans son lit. Il est joyeux, communiquant, il a l'idée de transformer la maison en café qui ne désemplit plus.
Cependant un fantôme du passé d'Amelia ressurgit qui va rebattre les cartes du destin.
Une courte trêve offerte par la météo déréglée, "douceur rêveuse de la neige qui tombe. Le silence de la ville, l'avez-vous connu si profond ?", et déjà les évènements se précipitent vers le drame....
Wunderkind :
Cincinnati Ohio, vers 1930, en cet après-midi d'hiver, Frances, jeune fille de 15 ans se rend à sa leçon de piano chez son professeur depuis 12 ans Mr Bilderbach. La musicienne, enfant prodige d'où son surnom, ne réussit plus depuis quelques semaines à atteindre le même niveau d'exécution que d'habitude. Elle est donc extrêmement nerveuse, se motive intérieurement mais l'arrivée du maître ne fait que renforcer le malaise. Pourra-t-elle dépasser la simple perfection technique pour atteindre les sommets de l'interprétation personnelle d'une œuvre ? En a-t-elle envie ou les capacités ?
N'est-ce pas plutôt le tandem formé par cet homme et cette jeune fille s'éveillant à sa féminité qui est dépassé ? La Solitude de l'instrumentiste est parfaitement rendu, sentiment d'impuissance, d'être nul en cela peu aidé par le professeur paternaliste et égocentré. Violent souvenir pour moi mais passage obligé pour tout artiste.
Le jockey :
Après une grande course, un jockey est invité à rejoindre son entraîneur, un bookmaker et le propriétaire du cheval pour prendre un verre. Pour le bookmaker, Bitsy aussi appelé le Kid, est dingue. Le jeune homme est furieux, déboussolé, il vient d'apprendre qu'un de ses amis ne pourra plus jamais remonter sur un cheval de course. Il boit de plus en plus, les autres, formant une sorte de trio en antagonisme avec lui, adoptent une attitude infantilisante, non empathique. Le jeune homme est totalement seul pour gérer sa peur de l'avenir si lui aussi faisait une mauvaise chute, sa tristesse, sa colère. Il se sent utilisé.....
Madame Zilensky et le Roi de Finlande :
Une nouvelle particulièrement cruelle et bouleversante mettant en scène une femme pathétique et certainement profondément malheureuse qui s'enfonce peu à peu dans des mensonges des plus abracadabrants. Lorsqu'elle est mise face à ses dérives, entre autres qu'elle connaît le Roi de Finlande, elle perd pied....
Celui qui passe :
Un homme retrouve celle qui fut sa femme, aujourd'hui heureuse, remariée, mère d'un petit garçon adorable. Il se sent de plus en plus intrus dans cette image de la famille idéale, va jusqu'à mentir sur sa propre situation personnelle...
Un problème familial :
Tragédie de l'alcoolisme d'une jeune mère Emily et ses répercussions sur toute sa famille. Tout est vu par le regard du mari totalement désespéré, tiraillé entre son amour pour elle et son devoir de protéger ses enfants.
Cette nouvelle est particulièrement émouvante. L'interprétation de Anouk Grinberg m'a fracassée.
Une pierre, un arbre, un nuage :
Un homme tente d'expliquer dans une sorte de monologue, à un jeune garçon de 12 ans, ce qu'il sait de l'amour. Une science qui lui est venue trop tard selon lui.
"- Sais-tu par où l'homme devrait commencer à aimer, fils ?
Le garçon était attentif tout petit sur son tabouret. Il remua doucement la tête. Le vieil homme se pencha et murmura Une pierre, un arbre, un nuage."
Anouk Grinberg utilise toute la palette de couleurs, d'intensités, de puissance jusqu'au murmure pour interpréter ces sept nouvelles. Adoptant un rythme très ralenti pour la Ballade sudiste, elle réussit à faire naître un sentiment de malaise, de danger y apportant une ambiance très Thriller, chronique d'un drame annoncé.... Elle m'a profondément touchée dès qu'un enfant intervenait dans l'histoire. Et plus elle parait froide dans sa lecture, plus cela renforce l'impression d'implacabilité du destin. Du sur mesure.