Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
L'Homme de Césarée, tome 3 de la série "La reine oubliée"
Françoise Chandernagor
Albin Michel
17 mars 2021
432 pages
Historique
Chronique
15 mai 2021
Précédemment ont été édités " Les Enfants d'Alexandrie " et " Les Dames de Rome".
Quelle majestueuse et somptueuse reconstitution est ce roman historique, cette grande fresque ! Imaginez un bas relief se mettant soudain par la grâce, le talent, l'érudition et la créativité de Françoise Chandernagor, à s'animer sous vos yeux.
Vous n'êtes plus dans un musée, vous êtes soudain projetés sur place.
Historienne et écrivaine soucieuse de restituer une vérité vérifiée, magnifiée par sa si belle plume, elle réussit à nous transporter à la cour d'Octave, empereur de Rome, vainqueur de Marc Antoine et Cléopâtre, finalement suicidés, couple maudit alors mais passé à la postérité, laissant dans leur sillage plusieurs enfants, dont Séléné, l'héroïne choisie par l'auteure pour sa série comprenant déjà " Les enfants d'Alexandrie" et "Les Dames de Rome", suivis plus tard d'un quatrième opus, " Le jardin de Cendre". Nom du lieu édifié par Séléné à la fin du présent ouvrage, convaincue que les Dieux sont contre elle et que le destin ne peut que lui être fatal. C'est évidemment sans compter avec Fortune. Mais patience ...
Pour le moment, nous découvrons une jeune fille élevée à la cours romaine dans la maison d'Octavie, soeur de l'Auguste, ennemi de ses parents dont les noms ne peuvent même plus être prononcés. De cœur, elle reste égyptienne, helléniste et déteste tout ce qui est romain. Cependant, elle voue une réelle affection teintée de méfiance à sa tutrice, ses demies sœurs et à tous ses " cousins". Elle apprend l'art de la diplomatie, de la rouerie, du secret et surtout de la patience ; l'esprit de vengeance l'anime toujours.
Octave, grand manipulateur et pervers narcissique, même pour l'époque, disons-le, très particulière sur le plan moral, utilise les enfants nés des principales grandes familles romaines comme des pions sur son échiquier impérial. Il décide donc de marier Séléné à Juba, Roi "barbare" de Maurétanie, correspondant aujourd'hui à l'Algérie et le Maroc. Elle aurait pu plus mal tomber : beau comme Apollon, c'est un helléniste convaincu, un linguiste, historien, explorateur, géographe, urbaniste, collectionneur émérite, auteur de plusieurs ouvrages célèbres, cité et respecté par de grands philosophes et encyclopédistes futurs, en plus d'être un guerrier courageux et un réel chef d'état. Il a les défauts des hommes de son temps, et leurs qualités aussi : curieux de tout, il va former un couple semble-t-il des plus réussis avec la tempétueuse, volcanique et inclassable Cléopâtre-Séléné, digne fille de ses parents.
On comprend que Juba II fut fier de cette alliance : elle lui permettait "politiquement et culturellement de contrebalancer l'influence de Rome : associé certes, mais pas vassal et encore moins, esclave...."
Octave l'a nommé à cette charge voici peu de temps après qu'il ait vécu ses premières années en romain. L'autrice aime à imaginer ce gamin, orphelin d'un père tué par César, grandir à Herculanum.
Ces deux enfants, Séléné et Juba, qui furent exilés, éduqués chez l'ennemi, viscéralement liés à leurs terres d'origine, à leurs dieux, vont se trouver et se reconnaître. Le respect entre les époux a laissé une trace vérifiable sur les pièces de monnaie bilingues où le latin côtoie le grec, où un animal symbole de l'Afrique - éléphant, lion - côté pile, accompagne la vache Hathor ou le crocodile, issus de l'imagerie égyptienne, côté face... On sait que Séléné fut en charge de certaines responsabilités de régence pendant les longues absences de son explorateur et guerrier époux. Ce sont des êtres cosmopolites, hellénistes, intelligents, fiers de l'autonomie qu'ils réussissent à garder par rapport à Rome, au contraire de nombreux autres rois, amis et alliés de l'Empire, en Orient.
Donc, l'auteure nous offre d'une part, une édifiante reconstitution des décors, costumes, us et coutumes de l'époque, mais aussi une explication du mode de penser, de considérer la vie, la mort, l'éternité, les enfants, l'héritage à laisser à la postérité. Nous savons si peu de chose sur cette partie du monde à cette période. C'est une fantastique découverte pour moi. La décadence romaine est encore plus frappante face à la réussite de nos souverains de Maurétanie, car eux vont construire et régner avec fermeté et justice sur une population aux origines, langues, croyances multiples : "nomades et sédentaires, éleveurs et cultivateurs, colons et indigènes, Numides et Maures..." Leur couple est aussi " bigarré" que ce pays :
" Un Berbère citoyen romain marié à une Égyptienne d'origine grecque ! ". Savoureux mélange !
Enfin, ce roman est également l'histoire d'une femme qui resta toute sa vie une toute petite fille traumatisée par les évènements qui ont précédé et suivi immédiatement la mort de ses parents. Une adulte toujours enfant qui prendra pour un bon présage le phare qui l'accueille au port de Césarée, copie modeste de celui plus majestueux d'Alexandrie, la bien aimée.
Ce mariage qui peu à peu fut d'amour et de passion partagés, à l'origine contrat politique, fait naître aussi en Séléné l'espoir d'une vengeance menée contre Rome si ce n'est par elle, par sa descendance, telle une Didon imaginant déjà Hannibal écraser l'Empire.
Un roman historique exceptionnel que j'ai dégusté et suivi sans aucune difficulté et avec infiniment de plaisir même si je n'avais pas lu les opus précédents. Surtout lisez bien les notes finales, elles sont passionnantes.