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" Une voix féministe au cœur du XIXe siècle "

J'ai chroniqué la semaine dernière la biographie  "Marie Talabot Une Aveyronnaise dans le tourbillon du XIXe siècle" s'attachant aux pas de Marie-Anne Savy, orpheline de mère à cinq ans, élevée par les sœurs, mise au travail toute jeune en usine, puis domestique à Marseille où elle rencontra l'homme qui changea à jamais son destin. Ainsi, nous avions découvert brièvement ce qu'était l'existence de ces enfants sur lesquels le sort s'acharnait et qui, adultes, étaient condamnés à une vie de misère. 

Des années difficiles que Marie Talabot n'oublia jamais, refusant de tourner le dos aux plus fragiles, aux plus pauvres. Afin de traiter plus amplement des conditions de survie de ces "misérables", de ces invisibles, Louis Mercadié revient vers un personnage déjà rencontré dans certains chapitres de la biographie de Marie, son amie d'enfance Noëlle Castanié. 

Découverte un jour de Noël sur le parvis de l'église de Saint-Geniez-d'Olt, elle est recueillie par les sœurs et élevées aux milieux d'autres orphelins. La rencontre avec Marie-Anne est une bénédiction. Les deux petites filles grandissent côte à côte et affrontent ensemble les vicissitudes d'un quotidien dont nous ne pouvons qu'imaginer l'âpreté et la cruauté. Considérées comme adultes à sept ans mais payées une misère, obole reversée à l'orphelinat, les voici embauchées dans l'usine de tissage. Le travail est harassant, dangereux. Marie-Anne part pour Marseille et échappe à un bien triste sort mais Noëlle, elle, est prise à la mine. Là encore la situation des travailleurs est effroyable. 

La colère gronde chez les plus pauvres usant leur force pour un patronnat et des industriels méprisant cette main d'oeuvre bon marché et corvéable à merci. 

Noëlle rencontre l'amour dans ce contexte improbable, elle rêve de liberté, de douceur, de gagner sa vie décemment et décide de partir sur les chemins de France avec son promis. Direction le Sud. Mais le destin en a décidé autrement et bien des malheurs attendent cette héroïne parmi tant d'autres réussissant en un siècle bien peu charitable et juste envers les femmes, à survivre et à apporter sa pierre à l'édification d'une société plus égalitaire. 

Sa vie sera consacrée à ses semblables, ses femmes abandonnées dans leur détresse, souffrant dès leur naissance puis la mise au monde de leurs propres enfants...

On se demande comment nos aïeux ont réussi à surnager dans cette mer de malheurs, de misères, de violence, de désespoir. Les conditions de vie sont abjectes, insupportables, nulle pitié, nulle charité n'est à attendre.

Noëlle fera tout ce qui est en son pouvoir pour avancer, pour manger correctement et dormir à l'abri alors que tant d'autres sont prises dans l'engrenage de la traite de blanches. Elle est emportée par le vent de l'Histoire, sa conscience politique s'éveille sur les barricades de la Commune, elle sait qui elle est et quelle est sa mission sur cette terre de souffrances. Mais avant tout, elle doit retrouver sa mère, comprendre pourquoi elle fut obligée de la laisser un froid matin de décembre sur les marches d'une église dans un panier contenant également un médaillon mystérieux et des châtaignes encore chaudes pour protéger le nourrisson du froid glacial. 

Magnifique roman redonnant leur place à toutes ces oubliées de la Révolution française puis de celles de 1848 et 1871. Des figures féminines illustres se dégagent néanmoins de la brume de l'Histoire racontée par et pour les hommes. Il était également temps de remettre dans la lumière tous ces êtres plus modestes, enfants, femmes et hommes, qui ont donné leurs vies, ont lutté, pour l'avènement d'un monde meilleur. Bravo à Louis Mercadié pour cette somptueuse reconstitution tant édifiante que bouleversante.