
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
L'allégresse de la femme solitaire
Irène Frain
Seuil
20 mai 2022
384 pages
Biographie Roman
Chronique
17 décembre 2022

« À la mémoire de Fernando Librado
- homme de mémoire s'il en fut.
Et au Peuple des Coquillages »
« Comme la plupart des protagonistes, l'héroïne de ce roman a bel et bien existé. Son parcours a suscité l'intérêt, voire la passion, de nombreux chercheurs américains.
Elle demeure malgré tout énigmatique, ce qui a récemment conduit l'un de ces chercheurs à déclarer : « Ce destin est une page blanche en attente d'une fiction. »
Une phrase à ne jamais prononcer devant un romancier. »
« Nous sommes de la même étoffe que les rêves et notre courte vie est tout emmaillotée de sommeil. » Shakespeare - La Tempête
La légende de la Femme Solitaire n'a fait que s'enrichir des décennies après son décès, elle est régulièrement et toujours le sujet d'articles et de recherches archéologiques et scientifiques. Si sa tombe a disparu vers 1880, le souvenir qu'elle a laissé est impérissable, surtout dans la région de Santa Barbara et jusqu'à Sacramento, San Francisco, Los Angeles et San Diego.
Elle symbolise à elle seule les Amérindiens ayant vécu en Californie à l'arrivée des colonisateurs espagnols, exterminés les uns après les autres.
De plus, le mystère entourant son arrivée à Santa Barbara n'est toujours pas totalement éclairci. Les deux marins qui l'ont ramenée de l'île de San Nicolas, ses "découvreurs" en 1853, Nidever et son second Charley Brown, encore en vie vingtneuf ans après les faits, donnent des versions étranges et contradictoires. Que peut-on imaginer, tous les autres protagonistes présents lors de cet événement étant morts ?
On sait comment le peuple de cette femme fut déporté en 1835. On cherche toujours à comprendre comment les évènements se sont articulés à partir de l'arrivée des blancs sur l'île de San Nicolas, du massacre d'une partie de la population, de son embarquement forcé ? De plus, pourquoi cette rescapée est-elle restée sur place seule pendant des années ? Comment a-t-elle survécu, qu'est devenu son fils, quelles sont ses origines ethniques ? La Femme Solitaire mystérieusement si joyeuse serait la dernière des premiers Amérindiens. On pense que l'île était un centre chamanique.
On retrouve dans ce roman historique une trame traitée également dans "Le Rocher blanc" de Anna Hope.
Le livre débute par l'arrivée, des décennies après l'apparition de la "Sauvage" à Santa Barbara en 1853, de journalistes venus interroger celui qui fut chargé de la santé de la Femme Solitaire, le Dr Shaw.
Un épisode qui reste douloureux pour le vieil homme. Peu à peu, sa mémoire se réveille, les souvenirs affluent. Jamais il n'oubliera sa première rencontre sur une plage avec cet être extraordinaire, dansant, chantant, plein d'une allégresse communicative et inexplicable...
Un ouvrage magnifique, habité, hommage aux peuples disparus victimes d'êtres dits civilisés qui ne furent que des barbares. Pour que leurs voix, leurs silhouettes ne s'effacent pas, pour qu'ils reprennent leur place dans la ronde formée par l'humanité, à l'instar du Dr Shaw, Irène Frain se bat avec ses mots pour que la vérité soit dite, pour que tous les peuples disparus après avoir été massacrés, opprimés, mis en esclavage, continuent à nous murmurer leur histoire. Il en va de la survie de notre monde, de nos âmes.