
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
L'allègement des vernis
Paul Saint Bris
Philippe Rey
Le 12 janvier 2023
352 pages
roman
Chronique
1 février 2025

La version poche vient de sortir début janvier 2025.
Prix Orange du livre 2023 entre autres.
Livre multiprimé qui le mérite amplement : emprunté à la médiathèque, je l'ai acheté car la nécessité de l'avoir dans ma bibliothèque s'est imposée.
"Aux inquiets, aux confiants,
à ceux qui embrassent dans une même étreinte
le passé et l'avenir. "
"Au printemps, de quoi rêvais-tu ?
Vieux monde clos comme une orange
Faites que quelque chose change." Jean Ferrat
Passionnante découverte de l'envers du décor qu'est le plus beau musée du monde, le Louvre, à l'heure du tout numérique, du wokisme, du règne incontesté des apparences, de l'image, du jeunisme à tout prix même pour la célébrissime Joconde. Un petit rafraîchissement ne ferait pas de mal, et pour cela allégeons les vernis qui lui verdissent le teint. Oui, mais ATTENTION, chef d'oeuvre oblige, il va falloir trouver le maître capable de cet ouvrage sans dépasser la limite avec ses petits cotons tiges.
Pauvre Aurélien, directeur du département des
Peintures, lui qui a son cœur et son corps défendants, si peu adapté à cette nouvelle ère du tout rapide, du tout kleenex, du tout refait, du bling bling, du botoxé, des dispendieux cabinets conseils made in US, doit trouver la perle rare de la restauration, un artiste, un vrai, pas un simple tâcheron ou artisan mais bien un créateur, un novateur à la hauteur d'un Leonardo da Vinci, si cela est possible.
Ici l'on découvre ce métier sous forme de sacerdoce, de mission, l'histoire de cette profession et sa métamorphose au cours des siècles. Ce sera donc un italien à l'œil de braise et au talent fou accompagné de deux amantes magnifiques.
Le Louvre c'est aujourd'hui La Joconde et inversement : très réducteur mais nous sommes dans une société de simplification extrême, culturellement appauvrie, coupable d'être amnésique : oubliées les milliers de pièces admirables que regorgent ce lieu de beauté absolue. Et les questions épineuses du retour des œuvres à leurs pays d'origine se reposent douloureusement, politiquement. Qu'en est-il de Monna Lisa ? Volée aux Italiens ? Vraiment ? Petits flashbacks nécessaires pour bien comprendre le passé de ce portrait qui n'était destiné à être vu que par son propriétaire. Et d'ailleurs, la destination de toutes ces merveilles est-elle vraiment d'être exposées ainsi à la foule ? N'est-ce pas sacrilège ? Dangereux pour des objets si fragiles ?
Pauvre, pauvre, Aurélien qui se fait violence tout au long de ce récit palpitant, malheureux dans son couple, découragé (malgré son éternel happy face) dans son job, confronté, à la cinquantaine, à un passage obligé d'âge et de retour sur son parcours. N'est-il pas en train de se fourvoyer ?
Et puis.... Et puis l'auteur nous fait un magnifique cadeau onirique, sublime, époustouflant, grâce au personnage extraordinaire d'Homéro. Dieu que j'ai aimé cet homme fabuleux, un ange nous rappelant où se situe la vérité ! Dans le cœur, dans la grâce d'un moment, dans une danse improbable, dans la capacité à écouter murmurer toutes ces œuvres, à les regarder vraiment, à établir un dialogue silencieux loin des savants, experts, politiques, blasés, décisionnaires.
Voici un magnifique roman drôle, original, généreux, passionnant et passionné, brillant et accessible, à mettre entre toutes les mains, d'une utilité salvatrice en ces temps de brumes et de fausses vérités.
J'ai adoré ces heures dans un musée du Louvre différent de celui que j'imaginais.
Gratitude !