
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
L'affaire de l'homme à l'escarpin
Jean-Christophe Portes
City Editions
2018
477 pages
Polar Historique Reportage Autobiographie
Chronique
18 août 2018

Deuxième enquête de Victor Dauterive dans la France révolutionnaire.
Peut-être aurais-je dû attendre un peu avant de lire immédiatement la suite de « L'affaire des corps sans tête » ? Du coup j'ai été un peu moins entraînée dans cette histoire qui peu ou prou, que ce soit par sa construction ou le propos, ressemble beaucoup au précèdent tome. Bien entendu, c'est la suite du premier livre me direz-vous : les conséquences de l'énorme bourde de la fuite de la famille royale et son arrestation à Varennes sont traitées avec clarté, l'obligation évidemment de trouver le moyen de sauver le roi vis à vis de l'opinion publique, de la question de son inviolabilité, de son retour sur le trône, également de son cousin d'Orléans attendant peut-être de prendre sa place en tant que régent, etc ... sont au centre de l'intrigue.
J'ai adoré la description de Paris de 1791, d'être ainsi télétransportée dans une réalité virtuelle tout à fait bien rendue. Un vrai plaisir pour tout parisien, une visite exaltante. Ce roman est aussi une très belle peinture de tout cet univers pré Terreur : Les salons tenus par des femmes, chacun avec sa particularité et ses sujets de discussion, ce petit monde de révolutionnaires, d'intellectuels, d'artistes, d'utopistes, de bourgeois, de militaires, d'hommes d'état, de mendiants se côtoyant, se frôlant, en accord ou en conflit, comme si on y était.
On retrouve Victor Dauterive, notre héros, le 10 juillet 1791 et le suivons pendant 7 jours jusqu'au premier massacre de civils au champs de Mars, lors de la signature de la pétition pour la destitution du Roi par des centaines de parisiens.
Concernant les libertés de l'auteur pour servir sa fiction, elles sont expliquées en fin d'ouvrage ; les distorsions de la vérité des évènements, du caractère ou de la vie d'un personnage célèbre, m'ont un peu gênée, je n'en suis pas forcément fan ; je sais que de grands noms de la plume comme Dumas ont pratiqué cette " méthode", mais je me demande s'ils ne serait pas possible tout de même, de respecter l'exactitude des faits historiques entièrement, sans ces aménagements, tout en écrivant un roman de fiction.
Un exemple : Madame de Keralio est décrite comme un personnage parfaitement insupportable, antipathique, sans grande moralité, et comploteuse.... C'est un peu ennuyeux quand on sait quelle femme formidable, en avance sur son temps, elle était, dont l'engagement et les actions politiques pour la cause féminine ont encore un impact aujourd'hui, même si le commun des lecteurs ne le sait pas forcément.
Idem pour Olympe de Gouges et sa relation à la Reine à qui elle dédie carrément sa Déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, ce n'est pas une simple lettre comme dit dans le roman, ( je me permets de recopier la dédicace et d'ajouter en photo une partie des articles de ce document).Également je prend la liberté de signaler la biographie de Marie-Antoinette écrite par Antonia Fraser qui rétablit beaucoup de vérités sur cette femme, sur le rôle réel qu'elle a pu jouer dans les décisions prises, entre autres concernant la fuite désastreuse de Paris, et son impact essentiel, depuis jusqu'à aujourd'hui, sur l'art de vivre français, la musique, la culture de notre pays, dont nous nous vantons tant, tout en égratignant sa mémoire. Nous oublions vite.... Les quelques éléments évoqués quant à la Reine sont toujours négatifs ou mitigés dans ce livre par le biais des regards d'Olympe ou de La Fayette. C'est dommage ! Elle mérite mieux.
Toujours est-il que ce roman policier historique et d'action doit rester aux yeux de tous un divertissement, où l'on sent que l'auteur s'amuse réellement tout en s'appuyant sur une bibliographie et une documentation solides.
1791 « Déclaration des droits de la Femme et de la Citoyenne, dédiée à la Reine :
Madame,
Peu faite au langage que l'on tient aux rois, je n'emploierai point l'adulation des courtisans pour vous faire hommage de cette singulière production.
Mon but, Madame, est de vous parler franchement ; je n'ai pas attendu, pour exprimer ainsi, l'époque de la liberté : je me suis montrée avec la même énergie dans un temps où l'aveuglement des despotes punissait une si noble audace.Lorsque tout l'Empire vous accusait et vous rendait responsable de ses calamités, moi seule, j'ai eu la force de prendre votre défense. Je n'ai jamais pu me persuader qu'une princesse, élevée au sein des grandeurs, eût tous les vices de la bassesse...
Il n'appartient qu'à celle que le hasard a élevée à une place éminente, de donner du poids à l'essor des Droits de la Femme, et d'en accélérer les succès. Si vous étiez moins instruite, Madame, je pourrais craindre que vos intérêts particuliers ne l'emportassent sur ceux de votre sexe. Vous aimez la gloire : songez, Madame, que les plus grands crimes s'immortalisent comme les plus grandes vertus ; mais quelle différence de célébrité dans les fastes de l'histoire ! L'une est sans cesse prise pour exemple, et l'autre est éternellement l'exécration du genre humain. On ne vous fera jamais un crime de travailler à la restauration des mœurs, à donner à votre sexe toute la consistance dont il est susceptible. Cet ouvrage n'est pas le travail d'un jour, malheureusement pour le nouveau régime. Cette révolution ne s'opérera que quand toutes les femmes seront pénétrées de leur déplorable sort, et des droits qu'elles ont perdu dans la société. Soutenez, Madame, une si belle cause ; défendez ce sexe malheureux, et vous aurez bientôt pour vous une moitié du royaume, et le tiers au moins de l'autre. Voilà, Madame, voilà par quels exploits vous devez vous signaler et employer votre crédit. Croyez, Madame, notre vie est bien peu de chose, surtout pour une reine, quand cette vie n'est pas embellie par l'amour des peuples, et par les charmes éternels de la bienfaisance...
Voilà, Madame, voilà quels sont mes principes. En vous parlant de ma patrie, je perds le but de cette dédicace. C'est ainsi que tout bon citoyen sacrifie sa gloire, ses intérêts, quand il n'a pour objet que ceux de son pays.
Je suis avec le plus profond respect, Madame
Votre très humble et très obéissante servante, De Gouges. »