
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
L'Île de la Liberté
Jean-François Zimmermann
De Borée
Le 18 juin 2020
486 pages
Historique
Chronique
12 septembre 2020

Deux passages qui me semblent représentatifs de ce roman fabuleux, dépaysant, nous interrogeant sur nos propres définitions de la liberté, de la justice, et sur le futur que nous souhaiterions créer pour les générations à venir :
Note en bas de page 346 :
" Pour inventer l'île de la Liberté, l'auteur s'est inspiré de l'île de l'Aldabra, située dans l'ouest de l'océan Indien. C'est le plus grand atoll surélevé au monde..."
P. 433 :
" Comment croire encore en l'homme ? " " Est-il possible d'arracher son âme aux griffes du démon ?" Dieu les a aidés à créer ce havre de paix et de liberté, mais aujourd'hui Satan ricane. Puisqu'il semble être toujours victorieux, serait-ce lui le maître du monde ? " Pourquoi le mot Amour est-il toujours écorché et sali par le mot Haine ? " "Olivier avait entrepris la construction d'un monde meilleur, libéré des pesantes contraintes et des iniquités inhérentes à celui dont nous dépendons. L'ivraie était dans le grain que nous engrangions. Il en a pourri la partie la plus saine."
Grand, très grand roman d'aventures, mêlant faits historiques avérés et fiction, tome 3 d'une série intitulée "Le crépuscule du Roi-Soleil" comprenant déjà deux épisodes, "L'Apothicaire de la rue de Grenelle" et "La Rivière d'or". Je vous rassure tout de suite : ne pas les avoir lus avant la découverte de ce texte ne m'a pas gênée.
Bien que l'action se déroule sous Louis XIV, la quête infatigable et sans fin des hommes à la recherche d'une terre de liberté où fonder une nouvelle société de justice et d'égalité, loin des souverains et grands de ce monde sanguinaires, détestables, dictateurs, méprisant leur peuple, rend ce livre singulièrement actuel. Ainsi ces mots résonnent à nos oreilles et à nos consciences étrangement, nous laissant imaginer ce que partir ailleurs, fuir peut-être, aurait comme avantage.
Un rêve : larguer les amarres et voguer vers un horizon de tous les possibles, les voiles claquant au vent, les flots miroitant sous les rayons d'un soleil plus bienveillant que ne le sera jamais le roi de France, en particulier pour les protestants.
Ainsi dans une même famille, certains restant attachés à leur foi, d'autres devenant papistes, des guerres intestines toutes aussi terribles que les conflits constants que Louis XIV mènent contre les autres puissances, s'enveniment, gangrènent tout. Un frère trahit son frère, son père, apporte la désolation et le crime dans la demeure familiale, et tout est détruit.
Ce fut le sort de notre héros, Martin Lasalle, dénoncé par son propre frère Paul, devenu prêtre : envoyé au galère en raison de son protestantisme, il se réfugie, après maints évènements traumatisants, à Amsterdam, terre d'accueil de bien des opprimés. Nous sommes en 1686, dans la maison de l'apothicaire et médecin Moyse Charas, un ami de longue date de son père, Alexandre Lasalle. Il a recueilli ce dernier pourchassé par les dragons du roi après la révocation de l'édit de Nantes. Sur son lit de mort, Alexandre a fait de Moyse son exécuteur testamentaire : une lettre, des notes de recherche tant en alchimie qu'en médecine, et des instruments dans ces deux disciplines, ainsi qu'un coffret contenant une somme de 3252 écus d'or, doivent être remis à Martin si celui-ci se présente enfin à Amsterdam. Cet héritage lui permettra de finir ses études de médecine et de poursuivre le grand oeuvre de son père.
Mission remplie donc à l'arrivée tardive du jeune homme, mais celui-ci est empli de haine, d'esprit de revanche contre Paul, contre le destin et surtout contre ce roi malfaisant.
Bien que poursuivant, et les expériences d'alchimie pour créer l'or liquide réputé soigner toutes les maladies, et une carrière de médecin reconnu et apprécié de ses patients, et une idylle avec la fille aînée de Moyse, Madeleine, Martin se sent irrésistiblement attiré par l'océan, l'aventure.... Un drame terrible va décider des huit prochaines années de l'existence de cette âme tourmentée à la poursuite d'une rédemption.
Épousant l'utopie d'Olivier de l'Aubertière, pirate français, rêvant de fonder une république sur une île de l'Océan Indien, le jeune homme embarque, sous son commandement, sur un navire affrété par la VOC, Compagnie maritime hollandaise.
L'auteur déploie alors tout son talent pour nous faire vivre des heures inoubliables à bord de voiliers du XVII ème siècle, réussissant avec passion et une grande érudition, cependant rendue accessible, à nous faire partager le quotidien de ces marins, des peuples rencontrés au gré des escales, à nous faire croire en ce rêve de liberté et de justice pour tous. Nous suivons ces femmes et ces hommes fondant une nouvelle communauté, nous palpitons, rions, pleurons, bataillons à leur côté contre les représentants du mal, contre les éléments, contre la Nature... Tout simplement étourdissant de lumière, de couleurs, de vérités, de vie...
Bien évidemment, le diable veille, trame ses plans.... Martin devra, au bout de la terre, sur cette île enfin atteinte, affronter son pire cauchemar, se surpasser encore et toujours, pour, peut-être, se trouver, se réinventer sur des bases apaisées et saines.... Le pourra-t-il ?
Et nous ? En serions-nous capables ?