Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Jiazoku
Maëlle Lefèvre
Albin Michel
2019
350 pages
Roman
Chronique
20 juin 2019
Premier roman de cette auteure... 19 ans !!!! Le talent n'attend vraiment pas le nombre des années..... Avertissement : ne lisez pas la quatrième de couverture, si vous voulez vous laisser prendre la main par l'écrivaine. Faites-lui confiance.
Impressionnant ! Remarquablement écrit, une plume délicate, précise, émouvante, un sujet très original entre Shanghai et Tokyo, deux mégalopoles reliées ici par un trafic inhumain, inacceptable, imaginé par des criminels de la pire espèce, lorsque la règle de l'enfant unique est abandonnée en Chine. Tout commence en janvier 2017 et se finira dix huit ans plus tard... Une projection dans l'avenir qui insiste sur la nécessité de lutter contre cette criminalité à l'échelle internationale aujourd'hui pour sauver notre futur commun.
De riches shanghaiens rêvent d'un deuxième bébé mais les épouses ne veulent pas encore souffrir une nouvelle grossesse, travaillant énormément, pensant aussi que leur argent leur donne le droit de se payer la location de ventres. Et ceux-ci sont au Japon et appartiennent aux yakusas.
Des milliers de femmes pauvres, désespérées, souvent anciennes prostituées, ne voient que cette solution terrible pour continuer à survivre tant que leur corps peut enfanter, tant que leur cœur et leur âme n'éclatent pas en morceaux. De ce drame, de ce trafic d'êtres humains, de nourrissons ou de garçonnets et fillettes, victimes de ces criminels abjects, Maëlle Lefèvre réussit à imaginer un récit poignant, nous faisant tour à tour suivre un couple chinois sur le départ pour le Japon, laissant leur petite fille Fen aux bons soins de sa nounou, puis un yakusa de plus de cinquante ans, Daisuke, rattrapé par sa conscience, Bo et Guan Yi, prostituées au bord du précipice, et enfin, Ana et Kei deux enfants, devenus sœur et frère de cœur.
Pendant une grande partie de ce roman terrible, nous regardons le monde par les yeux des enfants, ou plutôt, leur présence dans ce cauchemar, remet tout en perspective, redonne au Bien la place qu'il doit avoir. Leur pureté, leur innocence, nous attendrissent et en même temps nous éprouvent.
Cette nouvelle écrivaine sur la scène littéraire a un vrai don pour créer notre empathie sans rajouter dans le pathos, en nous faisant toucher du doigt la vérité d'un commerce monstrueux, brisant les destins implacablement. Tout paraît inéluctable, pour tous.... Criminels ou victimes.
Au centre de tout, la famille, la vraie ou celle d'adoption, qui donne son titre à ce livre, " jia" en chinois et "kazuko" en japonais, signifiant famille.
Un roman fabuleux, une visite des deux villes passionnante, une description détaillée des modes de vie et des règles terrifiantes, donnant le ton à ces deux sociétés, où exprimer ses sentiments semble très difficile, voire impossible. Une non communication laissant la porte ouverte à toutes les erreurs d'interprétation des réactions des proches. Un silence qui mène au drame !
Une réussite bluffante pour un premier opus que j'ai lu vite, avec le grand plaisir de la découverte d'une très belle plume et d'un sujet unique.