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Éva a lu pour vous ..

Chroniques littéraires

Inventions du souvenir

Silvina Ocampo

Editions des Femmes Antoinette Fouque

2021

192 pages traduites par Anne Picard

Biographie Nouvelles

Chronique

18 juin 2021

A l'origine texte paru aux Éditions d’Ernesto Montequin.


P112 : « Ce qui manque aux souvenirs d'enfance c'est la continuité ;

Les souvenirs sont comme des cartes postales,

Sans date,

Que l'on change capricieusement de lieu.

Quelque chose s'interrompt et s'arrête pour toujours. »


Inventions du souvenir est une partition prise, reprise à de multiples moments de 1960 à 1987. Alternant prose narrative et instants de poésie pure suspendus, il est nécessaire de bien lire l'avant-propos afin de comprendre ce que Silvina Ocampo choisit de partager avec nous : texte impressionniste, faussement décousu, libre de toute chronologie, dans lequel elle s'attache à des détails, à rester fixée sur des petites choses, regardant tout à la hauteur d'une fillette puis d'une adolescente. C'est de la dentelle, un voile à travers lequel on regarde le film du passé par la fenêtre du souvenir.


Celui-ci est tantôt d'une tendresse bouleversante, d'une fantaisie et d'une drôlerie des plus cocasses préfigurant déjà l'extraordinaire imagination et aptitude à créer de l'artiste que deviendra Silvina ; d'une grande pudeur quant à la mort de sa petite sœur Clara transformée en garçon au nom d'ange protecteur... Une enfant qui, comme sa mère, n'est pas à l'aise avec la richesse de sa famille, avec les disparités sociales, avec l'injustice de la pauvreté. Elle voit l'humanité là où les autres voient des mendiants, des inférieurs. Elle a en effet une enfance dorée, en Argentine dans cette propriété familiale incroyable où quatre maisons sont reliées les unes aux autres par des passages dérobés, comme dans un château ou un navire de conte de fées... Des canaris, des chiens aux noms anglais, un personnel comme une armée, même un long séjour en France à Paris et Biarritz où elle découvre le dessin....


Cependant, en filigrane, avec des mots choisis, méticuleusement, soudain, l'horreur s'invite dans cette enfance alors que l'enseignement religieux se renforce en vue de sa communion... Une serrure, un homme qui la force à regarder, elle ne comprend pas tout de suite ce qu'elle voit, elle ne sait pas ce qui lui arrive, elle est innocente. Tout s'emmêle dans son esprit troublé, la religion, le péché, l'éveil de son corps et ce que ce domestique lui fait subir. Est-elle mauvaise ? Est-elle coupable ?


Ce titre Inventions du souvenir évoque évidemment la réinterprétation des souvenirs que nous avons de nos jeunes années mais également exprime une forme de sidération face au crime sexuel subi. Vaut-il mieux que ce soit une invention ? Ou prévient-elle d'avance les réactions de doute de certains lecteurs quant à la véracité des souvenirs ? Quoiqu'il en soit, en redonnant la vue et la parole à la petite fille qu'elle fut, elle offre enfin à ce double du passé jusque là muet l'occasion de dire la vérité, avec poésie, et se faisant, renforce ainsi l'horreur abject du geste criminel.


Superbe texte qui luit comme des fragments d'un miroir que recompose lentement Silvina Ocampo... Elle redessine son auto portrait patiemment avec infiniment de tendresse et d'attention pour ne pas effaroucher la petite fille qu'elle fut et est toujours, que celle-ci puisse lui murmurer à l'oreille l'histoire qu'elles ont en commun... L'adulte prend la main de l'enfant, à jamais réunies.

Magnifique traduction, soin particulier de mise en page, dans le choix du papier, de la police...

Un plaisir des yeux et du toucher.

Quatrième de couverture

« Mais ses péchés à elle étaient très différents, aussi différents que les personnes sont différentes. Sa mère, pure et joyeuse, son père sombre et sévère, sa cousine dévergondée et audacieuse, sa nourrice saine et dévote.
Comment aurait-elle pu, dans cette liste de péchés arbitraires, trouver le sien, personnel et subtil, si opposé aux manières de ses proches. » S.O.

Inventions du souvenir, autobiographie de l’enfance de Silvina Ocampo, a été publiée à titre posthume en 2006 en Argentine, grâce au travail du critique et traducteur Ernesto Montequin sur les manuscrits laissés par l’écrivaine. Dans un entretien pour le journal Clarin en 1979, Silvina Ocampo évoquait son attachement aux expériences de l’enfance et livrait l’origine et les clés de lecture d’une œuvre alors déjà bien avancée : « Je suis en train de préparer une histoire que j’appelle prénatale, écrite en presque vers, mais qui n’est pas un poème. Il s’agit d’un livre où prédomine mon instinct. »

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