
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Immaculée Connexion
Emmanuelle Robert
Slatkine
Le 12 août 2025
456 pages
thriller
Chronique
10 octobre 2025

" La criminalité organisée se sent très bien en Suisse, car c'est un pays riche et paisible. "
Nicoletta Della Valle, ex-directrice de Fedpol, la police fédérale suisse de 2014 à début 2025, sur la Radio-Télévision Suisse (RTS), 22 mars 2024.
L'autrice dédie ce polar à son père et ...
aux femmes invisibles ; puis elle ajoute à la page suivante, pour illustrer ce qui va suivre, la déclaration recopiée ci-dessus et, plus étonnamment, " La Ballade des Dames du temps jadis " de François Villon, poète et voyou, en vieux français, s'il vous plaît.
Comme quoi sous estimer la gent féminine est une sale habitude qui remonte à longtemps et, mine de rien, est dangereuse pour ceux qui commettent cette erreur.
Dans le quotidien, déjà, ce ne fut pas la fête tous les jours pour nos aïeules alors imaginez dans le milieu du banditisme, le grand s'entend, pas la petite escroquerie.
Ainsi, nombre de figures d'autorité au sein ou à la tête d'organisations criminelles internationales ne sont-elles jamais passées à la postérité, sacrifiées sur l'autel du patriarcat habituel.
Cependant, ce serait une grossière erreur d'oser penser qu'aucune femme n'ait été un rouage essentiel de la mafia ou de la French Connection, par exemple. Autre faute à éviter serait d'imaginer que la Suisse, pays exemplaire de neutralité et de douceur de vivre, n'ait jamais été lourdement impliquée dans tous les trafics, humains ou de drogue.
Appuyant son scénario aux multiples strates sur une documentation solide, des témoignages, entretiens et coupures de presse de l'époque, Emmanuelle Robert nous offre ici un récit palpitant et étonnant, basculant avec souplesse entre les années 1985 et 2023. Les dialogues ciselés, les personnages inoubliables et hauts en couleurs, servent un thème d'une grande originalité : si enfin l'Histoire criminelle était racontée par le prisme des femmes, non moins violentes que les hommes.
C'est un mouvement actuel et souverain pour notre santé mentale et future, de reprendre tout le récit historique dont on nous a rebattu les oreilles à l'école et ailleurs, en effaçant ni plus ni moins la moitié de la population mondiale. Ça suffit !
Alexandre, le seul à dire "je", jeune homme qui assiste bien malgré lui au meurtre d'un immigré africain alors qu'il traversait la place de la Gare à Vevey, sera le réceptacle de ce récit remanié enfin à la sauce féminine grâce à Madeleine, une octogénaire bien intrigante, présente elle aussi lors de l'événement. Sachant qu'il risque d'être soupçonné, il trouve refuge chez elle puis très rapidement chez l'inénarrable Anne-Marie, dans son chalet perdu dans la montagne.
Commence alors, sous forme de récit choral à la construction fabuleuse, une narration de ce qui s'est déroulé voici presque quarante ans, seul moyen de comprendre le présent et les conséquences facheuses et dramatiques qui en ont découlé.
Les jeunes femmes d'hier n'avait pas froid aux yeux, les mamies d'aujourd'hui n'ont rien perdu de leur superbe, de leur mordant, de leur soif de revanche. Elles ont la mémoire longue, ne pardonnent pas. Mais peut-être que ce que tous croient savoir du passé n'est qu'illusion et faux semblants. Alexandre n'est qu'au début d'un long chemin avant de savoir réellement qui il est et pourquoi ce jeune homme en situation irrégulière a été tué ainsi.
Drogue, violence, sang, sexe, cynisme et jalousie meurtrière font partie du tableau mais aussi l'amitié, la camaraderie, l'amour et la confiance.
Tous sont à la croisée des chemins et doivent enfin ouvrir les yeux. C'est l'heure de payer l'addition, de dire adieu ou de commencer une toute nouvelle vie.
La liste des personnages est donnée en entrée de jeu ce qui peut se révéler très utile et vous faire gagner beaucoup de temps. J'ai adoré la noirceur teinté d'humour décapant de ce polar singulier et passionnant. Superbe lecture !
