Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Il ne rêvait que de paysages et de lions au bord de la mer
Gérard de Cortanze
Albin Michel
Le 18 septembre 2024
320 pages
Biographie romancée
Chronique
29 septembre 2024
Voici ce qu'écrivait Gérard de Cortanze pour présenter son ouvrage "Le Roman de Hemingway" :
"J'ai la profonde conviction qu'Ernest Hemingway reste un auteur mal connu. On ne voulut voir en lui qu'un géant chasseur de fauves, un correspondant de guerre rebelle, un dur à cuire pêcheur de monstres marins, un amateur de corridas, un boxeur primitif, un viscéral insatiable, un monument de virilité, violent et alcoolique. Cette panoplie réductrice ne le protégeait guère : sa légende faillit le dévorer. Il s'en plaignait souvent. Mon ambition est de rétablir un morceau de cette vérité derrière laquelle l'auteur du Vieil Homme et la mer courut toute sa vie. Hemingway fut un romancier puissant, un journaliste de tout premier plan, un extraordinaire nouvelliste, hanté par la phrase exacte, le mot juste, l'histoire vraie, la sincérité. Mauriac disait de lui qu'il parlait le langage de la "grande liberté". Oui, mais de la solitude aussi, de celle qui contraint chaque jour l'écrivain "à faire front à l'éternité ou à l'absence d'éternité"."
Mission totalement accomplie, Mr de Cortanze, avec votre dernier opus. Une certaine part de la vérité est rétablie et je dirais, qu'en cette fin de vie, c'est le petit garçon que l'on retrouve sous les rides, derrière les regards enfiévrés. Un enfant qui ne s'est jamais remis du suicide de son père, de cette mort qu'il bravera toute son existence, tel un toréador face aux monstres, aux vagues gigantesques, aux horreurs que l'homme est capable de créer.
La puissance de Ernest Hemingway est proportionnelle à sa très grande fragilité, à sa capacité d'empathie, à son extrême sensibilité. Qualités que l'on retrouve évidemment chez l'auteur de ces lignes bouleversantes et terrifiantes décrivant la chute d'un géant auprès duquel combat sa dernière épouse, Mary. Ils sont deux dans cette barque au milieu d'une tempête sans fin qui se joue à l'intérieur du crâne de l'écrivain.
Que de luttes et de batailles aura-t-il menées pour dire, dénoncer, écrire, témoigner, fixer sur un cliché, émouvoir, laisser passer la lumière qui toujours se fraye un chemin à travers les fissures oubliées par les destructeurs, persécuteurs, dictateurs en mal de pouvoir, de contrôle !
Cet homme avec sa plume, son regard, son intégrité, son appareil photo, a fait tellement peur aux gouvernements et en premier lieu américain ! Incroyable ! Ses déclarations en faveur des opposants à Franco l'ont immédiatement dénoncé comme ennemi potentiel, comme possible communiste. Nous avons beaucoup de difficulté à simplement imaginer ce que furent ces années de chasse aux sorcières rouges dans ces États Unis, fer de lance paraît-il de la liberté ! Laquelle ? Celle de s'écraser ? D'accepter la censure, la surveillance constante du FBI, de son harcèlement permanent ? Qui pourrait tenir en vivant un tel cauchemar face à un rouleau compresseur qui jour après jour se remet à l'ouvrage ? Qui pourrait garder son équilibre mental ? Qui ne basculerait pas, peu à peu, dans la paranoïa ? Et quand il accepte, sur les instances désespérées de sa femme et de son médecin, d'être hospitalisé à la clinique Mayo, on finira le travail de destruction par des électrochocs.
Et nous suivons pas à pas ce calvaire de plusieurs années avec l'envie irrépressible de le serrer dans nos bras, de l'emmener loin, à l'abri. Un être d'exception, d'une sagesse et d'une prescience folles, et en même temps marqué par une certaine forme de grâce enfantine presque, presque naïve.
Ce livre est terrible, une épreuve pour tous ceux qui ont la capacité d'imaginer le désespoir profond d'un homme qui voit son âme, son cerveau, des pans entiers de sa mémoire, ses facultés créatrices et d'aimer, peu à peu et inexorablement détruits, massacrés, par des ennemis réels ou pire, des incapables pétris de leur suffisance.
Le chemin du retour en voiture après la dernière hospitalisation afin de revenir enfin chez lui au milieu des arbres nous offre des pages inoubliables, sublimes.
Un livre crève-coeur, un fracassant hommage à une figure essentielle de la littérature qui ici redevient un naufragé refusant de s'abandonner à son destin, choisissant jusqu'au bout de le reprendre en main.
Redécouvrir tous ses textes apparaît incontournable à la lumière de ce que Gérard de Cortanze a mis en évidence par cette plongée dans les abîmes au côté d'Ernest et de Mary.
Gratitude !
Quatrième de couverture :