Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Glaise
Franck Bouysse
La Manufacture de Livres
7 septembre 2017
427 pages
Thriller
Chronique
7 octobre 2018
« En ce temps de renaissance, les hommes ne se penchaient pas sur la terre, c'était elle qui se penchait sur eux, qui les prenait, même s'ils n'en voulaient rien savoir. La terre globale et primordiale, qui s'amusait de ces vassaux temporaires, de leur simple obstination à vouloir durer plus que leur vie en transmettant au mieux quelques arpents arides crachés par la roche mère. ....
La terre n'aimait pas, ne haïssait pas, ne pensait ni au mal, ni au bien. Ne pensait pas. Les hommes dessus misérables colons dans leur habit de sueur, avec ce besoin de tout nommer, de ramener la terre à une compréhension factice..... Mère de tout qui ne se souciait aucunement de son innombrable marmaille occupée à une conquête illusoire. La terre et le vaste ciel au-dessus, muet lui aussi, que l'on interrogeait pourtant, à qui l'on faisait dire ce qu'on avait envie d'entendre. »
Il est rare que je recopisse un extrait aussi long d'un livre mais comment transmettre autrement que par les mots de l'auteur la beauté de son écriture. Ici elle est organique, puissante, précise quant au choix des mots, quelques fois savante, que de vocabulaire j'ai découvert ! , harmonieuse ou fracassante....
La terre, la glaise, que l'on trouve dans le cimetière, et que l'on rapporte en cachette pour recréer en sculpture la beauté de la vie, la perfection de la nature, quand tout semble vicié, perverti, que l'on se sent écrasé par l'inéluctable. La terre qui recouvre les carcasses des chevaux et les cadavres des soldats au front. La terre nourricière dont on s'arroge la propriété, que l'on croit pouvoir dominer mais qui contrôle votre existence rude, exténuante, votre temps, faisant de vous un animal sous son joug. C'est sans fin, jour après jour....
Un regard au ciel, une pensée vers Dieu, quelques supplications... Mais tout semble joué dans ce roman terrible et anxiogène. L'amertume et la fureur gagnent certains, incontrôlables, haineux, objets des peurs et instruments du drame, que l'on sent approcher page après page.
Hommage à tous ces disparus lors des combats ou hors du champ de bataille, prisonniers des décisions d'un commandement et d'un gouvernement lointains. Restent le désespoir, l'attente, la folie, la mort. Au milieu de tout ce gâchis, un jeune couple s'aime, respire à l'unisson et regarde vers l'horizon...
" Au cœur du Cantal, dans la chaleur d'août 1914, les hommes se résignent à partir se battre, là-bas, loin. Joseph, tout juste quinze ans, doit prendre soin de la ferme familiale avec sa mère, sa grand mère et Léonard, vieux voisin devenu son ami. Dans la propriété d'à côté, Valette, tenu éloigné de la guerre en raison d'une main atrophiée, ressasse ses rancœurs et sa rage. Et voilà qu'il doit recueillir la femme de son frère, Hélène, et sa fille Anna, venues se réfugier à la ferme. L'arrivée des deux femmes va bouleverser l'ordre immuable de la vie dans ces montagnes."
Franck Bouysse est à mes yeux un des grands écrivains dans le paysage de la littérature française contemporaine, dans la tradition et la transmission de très grands auteurs sachant raconter la vie d'hommes et de femmes traumatisés par leur passé ou les évènements actuels, luttant contre des fantômes qu'ils ne savent écouter. Il fait preuve d'une exceptionnelle créativité tant sur le plan des images et des métaphores que dans le style. Je vais donc attendre le prochain opus.