Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Ferdaous, une voix en enfer
Nawal El Saadawi
Editions des Femmes Antoinette Fouque
2022
176 pages traduites de par Assia Djebar et Essia Trabelsi
Biographie
Chronique
27 janvier 2022
En format poche. Préface d’Assia Djebar de l’Académie française.
« j'ai eu recours à la police, mais je découvris que ses liens avec la police étaient plus puissants que les miens. J'ai eu recours à la loi, mais je découvris que la justice punit les femmes et ferme les yeux quand il s'agit des hommes. » N. E. S.
« Ne rien espérer, ne rien désirer, n'avoir peur de rien ! Tout ce qui peut arriver est déjà arrivé et, pour elle, le pire est déjà arrivé. » N. E. S.
Désespérance, fureur, admiration sans borne...
Deux voix s'élèvent, celles de Ferdaous et de Nawal, et plus rien n'est plus pareil, la vérité a été criée, crachée, gravée, imprimée, lue, écoutée, transmise, répercutée partout et pour les siècles à venir.
Le silence imposé par les bourreaux, par la société mysogine et patriarcale est brisé par deux héroïnes malgré elles qui n'ont pas pu se taire plus longtemps, qui ont osé se lever, sortir dans la rue, exprimer leurs désirs, leur dégoût, leurs envies, leur liberté dans un monde carcéral où tout ceci leur est interdit sous peine de voir s'abattre le fouet, les coups, la hache, le couperet.
« J'ai pris conscience qu'ils étaient tous des hommes avides et désaxés ; leur soif de richesse, de sexe, de tyrannie ne souffrait aucune limite ni contrôle. Ils infestaient la terre, ils pillaient les gens, tout cela avec leur gorge puissante, leur voix persuasive, leurs paroles mielleuses et leurs flèches empoisonnées. Or l'histoire ne dévoilait la vérité à leur sujet qu'après leur mort, et elle se répète avec une persévérance tenace. »
Que les dictateurs en chambre ou d'un pays le sachent : lorsqu'un être n'a plus rien à perdre, il devient dangereux, le bétail devient loup, le faible devient guerrier avec ses propres armes.
Les femmes sont ici condamnées à n'être que des épouses soumises, maltraitées, violentées, ou à n'être que des prostituées soumises, maltraitées, violentées. Pour Ferdaous, que le destin n'a pas épargnée, elle a fait l'expérience de la prostitution et de la vie normale et il est clair qu'une putain, dans cette société rétrograde égyptienne, est plus libre qu'une épouse. Elle choisit donc de redevenir une catin qui fait chèrement payer aux hommes l'accès à son corps anesthésié où nul désir ou nulle jouissance ne s'éveille, le cœur éteint à jamais.
« J'ai compris que nous toutes, nous étions des prostituées avec des valeurs diverses et qu'il vaut mieux être une prostituée de luxe que prostituées à bon marché. »
Contrôle total en apparence de son destin jusqu'à ce que certains prédateurs, certains proxénètes, ne supportent pas son indépendance financière et psychologique, sa capacité à lever les yeux et la tête dans la rue. Quoiqu'elle fasse, le masculin impose sa présence, sa malfaisance, au féminin. Depuis l'excision de l'enfance ordonnée par une mère jalouse et malsaine ennemie de son propre genre, le viol par son oncle, faussement paternel, son mariage forcé avec un vieillard ourdi par sa tante par alliance envieuse, tout a été fait pour écraser Ferdaous, " Paradis" en arabe, tout pour la mener en enfer et l'y clouer.
Nawal El Saadawi s'inspire d'un entretien avec une condamnée à mort rencontrée dans une prison égyptienne pour raconter le destin d'une femme, des femmes et le sien. En transmettant le témoin dans cette course à la vie, elle sauve la sienne, elle se libère, et comme Ferdaous elle peut hurler :
« JE N'AI PEUR NI DE LA SAUVAGERIE DES GOUVERNEMENTS, NI DE CELLE DES POLICIERS. JE CRACHE SPONTANÉMENT SUR LEUR FACE MENSONGÈRE, AINSI QUE SUR LES JOURNAUX MENTEURS. »
Le pire étant que ces mots résonnent aujourd'hui avec une violente pertinence ici et ailleurs. Quand l'humanité va-t-elle tirer les leçons du passé ? Quand le genre ne va-t-il plus être prétexte à commander toute notre vie en société ou dans la sphère intime ? Quand, enfin, la recherche de l'essence de chaque individu sera-t-elle au centre de nos apprentissages, de nos écoles, de notre monde ?
Une préface éclairante repoussant les limites de notre compréhension, un texte percutant, bouleversant, une maison d'édition qui toujours s'engage dans la lutte pour l'ensemble de l'humanité et cela passe par la défense des droits des femmes. Quatrième d