Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Exil pour l'enfer
Gwenaël le Guellec
Nouveaux Auteurs
7 janvier 2021
597 pages
Thriller
Chronique
7 janvier 2021
Tout nouveau, tout chaud. La nouvelle fournée bretonne est arrivée....
DEAD FOR NO ONE
« Tant qu'un homme pourra mourir de faim à la porte d'un palais où tout regorge, il n'y aura rien de stable dans les institutions humaines. « Eugène Varlin, communard fusillé par les « lignards » au dernier jour de la Semaine sanglante, un des précurseurs de l'anarchisme.
En effet dans un monde où un être humain n'est plus qu'une statistique, que son individualité irremplaçable et unique est noyée de facto dans une masse informe, qu'il perd son visage sur ordre des gouvernements plus ou moins dictatoriaux, des grandes groupes et entreprises de tous les secteurs, un vent de révolte se lève dans les rangs des citoyens quelles que soient leurs origines, leurs conditions sociales.
L'équilibre des puissances entre pays pauvres et riches, entre nations en guerre et en paix relative, bascule en cette période troublée. Des forces visibles mais aussi souterraines se mettent en mouvement pour empêcher le totalitarisme et permettre l'émergence d'un monde nouveau plus égalitaire, plus juste.
Il n'y a pas de hiérarchie entre les êtres humains mais certains semblent l'ignorer, alors même que tous leurs millions, leurs milliards ne les empêcheront pas de finir en poussière... d'être NO ONE.
Ainsi une tempête surgit au Nord, à la frontière entre la Finlande et la Russie en ce mois de décembre 2021 : trois corps pendus et scarifiés sont retrouvés par un éleveur de rennes Sami. Atmosphère anxiogène, déjà en noir et blanc, en cette nuit de cauchemar....
La tempête va rejoindre la pointe la plus occidentale de l'Europe, Brest, où la disparition d'un marin est signalée.
Les vents se renforcent pour atteindre notre jeune héros, Yoran Rosko, photographe atteint d'achromatopsie, patient depuis un an et demi du Rotterdam Eye Hospital. Accepté dans un protocole à la pointe de la technologie, il pourrait peutêtre, grâce à un oeil électronique, l'Eyeborg, percevoir ce qui l'entoure en couleurs. Mais pour l'heure, à l'annonce de la disparition de son ami en mer il n'a d'autre choix que de repartir pour son pays, pour les côtes armoricaines, pour la cité où il a vécu une aventure aux confins de l'enfer racontée dans l'opus précédent de Gwenaël Le Guellec, "Armorican Psycho" paru en 2019
Pour ce thriller original et déjà parfaitement maîtrisé, l'auteur a reçu le Grand Prix du suspense psychologique en 2019 et le Prix Goéland Masqué en 2020.
Avec ce deuxième roman, le talent rare de cet écrivain est diablement réaffirmé. En gardant les spécificités remarquables de l'épisode précédent qui sont
- une bande son rock, techno et underground omniprésente,
- un découpage en plans serrés et nerveux,
- une impression de reportage caméra à l'épaule, avec un cadrage très particulier,
- un goût certain pour les grands espaces, les terres sauvages aux climats rigoureux du grand Nord mais aussi pour les paysages industriels, lui inspirant des scènes inoubliables tant contemplatives que d'horreur ou d'action, Gwenaël Le Guellec traite d'un sujet terrifiant dont les conséquences sur la planète entière sont inacceptables tant elles sont inhumaines, amorales.
On ne peut qu'être foudroyé par ce texte comme l'est Yoran, ce personnage fabuleux, touchant, exceptionnel, dont l'œil acéré posé sur le monde est capable de distinguer le moindre détail....
Le diable réside dans les détails dit-on.
L'auteur en jalonne son récit telles des miettes de pains qui placées correctement à la fin forment un tableau prémonitoire et ténébreux.
Ce n'est pas Yoran Rosko qui devra s'adapter à un environnement en couleurs mais bien nous, lecteurs, qui devrons absolument accepter de tout percevoir en noir et blanc, comme dans un film où le moindre mouvement ou le moindre frémissement est du coup perceptible.
Un train vous attend pour vous porter jusque sur les terres glacées de Sibérie là où tombe la Black Snow. Un thriller virtuose d'un auteur passionné, investi, empathique et clairvoyant quant à notre monde.
Je remercie Gwenaël Le Guellec pour sa confiance renouvelée et pour m'avoir emportée dans un voyage si dramatiquement et terriblement beau.
Je remercie les Éditions Nouveaux Auteurs pour leur travail soigné de mise en page, de relecture du texte exempte de la moindre erreur, pour ce N à l'envers du titre sur la couverture nous rappelant le A de Armorican Psycho. Cohérence ! J'ai hâte de lire la suite...