
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Et moi, je vis toujours
Jean d'Ormesson
Gallimard
2018
280 pages
Roman Essai
Chronique
27 février 2018

Tellement étourdie par cette longue transe fabuleuse, cette longue conversation entre nous humains et l'Histoire Universelle, des cavernes à nos jours, un long message d'amour de toute éternité laissé par un immortel, capable de jongler avec mille entrées tel dans le dictionnaire, connaissances, sentiments et interprétations, sans nous mettre dans la situation de l'ignare.
Cette faculté d'être à 360 degrés et pourtant de réussir à nous raconter cette fresque millénaire, suivant une construction précise, claire, logique, est incroyable. Le souci du détail tout en synthétisant le propos.Quel texte foisonnant, empli d'accumulations, de strates, de virgules, à lire pour l'extrême beauté de la langue à haute voix ; être certain de ne rien passer, ignorer, se nourrir intellectuellement mais surtout émotionnellement. Quelle joie pure!
Le flambeau est passé je pense à d'autres génies et j'y crois, mais quel chance d'avoir"connu" cet Homme ! Je pleurais pendant des jours sa mort et en fut la première surprise, cette fin qui j'espère fut douce et libératoire, certain d'avoir accompli sa mission.
Il est rare de voir réuni dans 280 pages seulement, de telles vérités, de telles connaissances, de telles interprétations éclairées quant à la trajectoire de notre humanité, quant à son avenir. En ces temps obscures et incertains, jean d'Ormesson réussit à donner de l'espoir. Le destin est en marche selon ce personnage de l'Histoire Universelle notre interlocutrice, et la possibilité pour nous de changer peut-être notre futur, illusoire. Ce qui sera doit être ! Il y a une logique dans l'articulation des évènements qui effectivement saute aux yeux peu à peu.
Demain la suite .....
Je mets donc mes pensées en ordre...
Après quelques heures de repos, ce matin, je reprends mon texte par cet extrait du Juif errant, un des avatars de l'Histoire parmi bien des hommes et femmes de substitution pour approcher les grands de ce monde :
" Est-il rien sur la Terre
Qui soit plus surprenant
Que la grande misère
Du pauvre Juif errant ?
Que son sort malheureux
Paraît triste et fâcheux !
Juste ciel ! Que ma ronde
Est pénible pour moi !
Je fais le tour du monde
Pour la cinquième fois.
Chacun meurt à son tour
Et moi, je vis toujours. "
« Et moi je vis toujours . » Toujours ?.... Y a-t-il une fin de l'histoire ? Chacun d'entre nous naît, vit, meurt .... Naître, pour vous, c'est déjà mourir ; mourir c'est avoir vécu. Moi, je ne meurs pas. Je continue. Je suis hier, aujourd'hui, demain.« Un de vos grands hommes, vers le milieu du XXeme siècle, Vladimir Jankélévitch, écrit des mots Inoubliables : « Si la vie est éphémère, le fait d'avoir vécu une vie éphémère est un fait éternel. »»
L'Histoire a pour nom puissance, savoir, beauté. Sur les cinq ou six événements les plus marquants qu'elle a traversés ou prévus, il y eut l'invention de l'écriture à Ur, il y a environ 5000 ans. Il a eu Alexandre le Grand qui apporta l'hellénisme jusqu'aux bords de l'Indus, puis la chute de l'Empire romain. Il y a eu l'imprimerie et la découverte du nouveau Monde. Et la Révolution française. Puis l'avènement de la Science et de la médecine moderne.
Il y eut des personnages de légendes, des rois, des conquérants, des prophètes, des illuminés, des chercheurs de vérité tel Copernic, Darwin, Galilée, des écrivains, artistes, des scientifiques, des médecins, des guerres fameuses et terribles, la peste, il y eut Napoléon, et la fin des deux cents ans de l'omnipotence française, il y eut enfin et depuis un nouveau personnage réclamant à hauts cris la justice et l'égalité comme promis par la bourgeoisie en 1789. Ce nouvel arrivant est le Peuple. Peuple qui s'époumone toujours aujourd'hui, depuis près de 250 ans.
« Ainsi l'Histoire Universelle après avoir fréquenté des prophètes, des conquérants, des empereurs, dont elle a fait la grandeur, ou qui ont fait la sienne, se trouve face aux fils de la convention nationale, le Peuple.»Lequel ? Celui qui depuis le XIXeme siècle met tout en œuvre pour reprendre aux bourgeois le pouvoir promis par la Révolution. L' Histoire Universelle devient alors Déchirure !
Oui le nom de cette Histoire est puissance, savoir, beauté mais aussi Amour. « Aimez, aimez, disait M. de la Fontaine, tout le reste n'est rien. »
« Rien n'occupe plus l'Histoire Universelle que l'amour, si ce n'est que la mort.Tout tourne et s'agite et invente et se transforme. Ce qui change le moins dans un monde qui ne cesse de changer, c'est l'amour et la mort. Éros et Thanatos. Comme une brève d'éternité. »
Et après un texte écrit presque dans l'urgence , exaltant et essoufflant, Jean d'Ormesson ou l'Histoire ajoutent :« Moi non plus, nous le savons, vous le savez tous, je ne suis pas éternelle puisque je suis le temps et que le temps s'écoule. J'ai passé. Je passe. Je passerai. Mais que je sois passée sous les espèces de l'histoire sur et devant ce monde éphémère où vous avez vécu est une vérité et une beauté pour toujours et la mort elle-même ne peut rien contre moi. »
Une dernière pirouette et clin d'œil, l'Histoire Universelle ajoute :« Quelle idée de vouloir retracer tant d'espérances et d'échecs, tant de belles aubes et de tristes soirs ! Enfin ce qui est fait est fait. Il est trop tard pour corriger ce qui devrait être corrigé. Ne me jugez pas trop sévèrement. Je vaux mieux que ces souvenirs lacunaires et aléatoires qui, non contents de s'emparer de ma voix, ne constituent, en dépit de leur ambition, qu'un livre de plus parmi, les autres. »
Un simple livre vraiment ? Bravissimo Maestro !