
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Entre toutes
Franck Bouysse
Albin Michel
Le 20 août 2025
288 pages
historique
Chronique
5 octobre 2025

" Un roi chantait en bas, en haut mourait un dieu. " Victor Hugo, "Booze endormi"
" Si je parle de tant de personnes que je n'ai pas connues, d'événements que je n'ai pas vus, qui ne me sont pas arrivés à moi-même (...), c'est que tout cela je l'ai entendu dire et redire depuis le plus jeune âge : cela fait partie de mes souvenirs, même si cela remonte à cent ans et plus avant ma naissance. Et ce que j'ai vu, toute petite, j'en ai un souvenir vrai, une image qui n'a pas varié. "
Marcelle Delpastre, Les chemins creux
" Je crois que sans eux, je ne serai pas la personne que je suis aujourd'hui, peut-être que sans eux ma vie n'aurait pas été plus qu'une esquisse imprécise, une promesse comme tant d'autres promesses qui ne dépassent pas ce stade, finalement l'existence de quelqu'un qui aurait pu avoir été et qui n'est pas arrivé à être. " José Saramago, discours du prix Nobel
Une vieille femme se meurt, le narrateur l'accompagne et remonte avec elle le cours du temps. Quels sont leurs liens ? On ne le sait pas encore mais ils partagent le langage du cœur.
Texte intime pour l'auteur que cette plongée dans la vie secrète de son héroïne. Raconter Marie donc, c'est narrer également le destin de sa mère Anna, de leurs maris Clément et Louis, de leurs enfants et proches.
C'est s'attacher, avec un immense respect et infiniment de délicatesse, au quotidien des humbles, des invisibles, d'agriculteurs et éleveurs de 1912 jusqu'à l'orée du XXIe siècle.
Deux femmes donc, propriétaires de la ferme les Vieilles Granges qui, victimes du destin, deviennent capitaines de cette exploitation sans hommes, se battant contre les éléments, les tempêtes, pour maintenir le cap et offrir à leur descendance un avenir.
Des figures féminines atemporelles, qui se voient voler leurs maris par une guerre ou par un accident, incapables de s'ouvrir à un possible nouvel amour, incandescentes de douleur, orgueilleuses, fières et d'un courage extraordinaire.
Franck Bouysse fait renaître, sous nos yeux émus et admiratifs, le passé de nos aïeules, celles dont on garde la photographie jaunie en sabot sur le pas de leur ferme au sol en terre battue. Celles aussi, comme la fille de Marie, qui partiront à la ville certainement pour se construire un futur différent, fortes d'une éducation plus achevée que leurs mères et grand-mères.
On assiste aux désastres qui ruinent une vie dus au vent de l'Histoire ou à la méchanceté des hommes, mais aussi à la transformation d'une société accentuée par la Seconde Guerre mondiale, les progrès scientifiques et technologiques, l'abandon des zones rurales par la jeunesse, la mécanisation de l'agriculture et de l'élevage, l'avènement du numérique... jusqu'à la situation que nous connaissons aujourd'hui.
Des vies de labeur, âpres, mais aussi de partage, de camaraderie, sous le sceau de l'authenticité et de la simplicité. Des existences où le mot Amour est loin d'être galvaudé, peu prononcé peut-être, mais ressenti avec fougue et passion.
Des femmes inoubliables que nous portons en nous comme tous ceux qui nous ont précédé, dont les âmes sont inextricablement tissées dans nos chairs.
Nous avançons et construisons ensemble. Faisons en sorte de ne jamais perdre la mémoire de l'essentiel afin de ne pas sacrifier sur l'autel du progrès des valeurs humaines indispensables à notre survie physique et morale.
Un texte splendide comme toujours ! Gratitude !
