Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Deux hommes de bien
Arturo Pérez-Reverte
Seuil
2017
502 pages, traduites par Gabriel Laculli
Historique
Chronique
10 août 2017
L'auteur fut grand reporter et correspondant de guerre pendant 21 ans, et est Membre de l'Académie royale d'Espagne,.
« L'obscurité se terminera par un nouveau siècle de lumière. Nous serons plus frappés du grand jour après avoir été quelque temps dans les ténèbres. »
Et la lumière, l'auteur nous l'apporte par le biais de ce roman historique d'aventure, celle de Don Quichotte et Sancho Panza, pardon je m'égare, du très hiératique et mystérieux amiral don Pedro Zárate, et son compagnon de route naïf et attachant le bibliothécaire Hermogenes Molina. Tous deux membres de la prestigieuse Académie Royale d'Espagne, vont être chargés par leurs pairs de rapporter de Paris les 28 volumes de la célèbre et controversée Encyclopédie dans sa version d'origine. Nous sommes en 1787, à Madrid, où comme dans le reste du pays, la morale reste corsetée et la liberté d'expression et de penser aux ailes coupées par l'Église et l'Inquisition. Donc rapporter cette oeuvre afin de compléter le futur dictionnaire à paraître semble étrange, mais les idées progressistes des lumières touchent tout de même de quelques rayons l'élite intellectuelle espagnole et le Roi. Cependant au sein même de cette académie, deux hommes viles l'auteur de pièces de théâtre Sanchez Terron et le journaliste Higueruela, vont mettre de côté leur aversion réciproque pour fomenter un complot contre les deux voyageurs et engager pour se faire un brigand Raposo.
Les routes sont longues et dangereuses de Madrid à la capitale française et les rues de Paris ne le sont pas moins. Ce pays vit ses derniers instants de paix relative avant l'obscurité, la terreur, le barbarisme de la révolution. Ce roman est une description colorée, précise, joyeuse ou sans pitié d'une société à l'agonie et en métamorphose. Ainsi faisons nous la connaissance de deux personnages centraux : Margot Dancenis, espagnole tenant un salon réputé dans l'hôtel que lui a offert son richissime mari, symbolisant un certain esprit parisien, une élite intellectuelle transgressive et déconnectée des réalités du peuple, et l'abbé Bringas ayant renié l'Espagne pour devenir dans les futures heures de la terreur le bras impitoyable de la vengeance, pour l'heure guide des deux académiciens dans cette ville tentaculaire.
Tout le livre est en fait un prétexte à disputer des idées de l'époque, de liberté, de l'élévation de l'esprit par la science et l'expérience sans contrôle de la religion, de la comparaison entre deux pays destinés à la révolution et aux atrocités en deux périodes différentes, et à rendre compréhensible les recherches et écrits de Condorcet, d'Alembert et Franklin, entre autres, que nous rencontrons au célèbre café Procope à la page 316. Moment délicieux d'intelligence et d'esprit.
L'autre dimension de ce roman est la présence constante du romancier historien qui dès le début nous invite à le suivre de nos jours dans ses recherches et pérégrinations espagnoles et parisiennes afin d'offrir au lecteur un roman truculent, enlevé, documenté sur toute cette période pré chaos. Ainsi participons-nous également à la maturation de l'oeuvre, sommes-nous spectateurs du principe même de la création.
Donc un livre à plusieurs strates qui ouvre nos yeux sur une Histoire passée mais également présente et future. Avec le sourire, une sacrée belle mise en garde. Merci monsieur l'académicien.