
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Desfourneaux Bourreau
Sylvain Larue
De Borée
21 mars 2019
357 pages
Biographie polar historique
Chronique
25 mars 2019

J'ai très vite lu ce récit de la collection Histoire et Documents, très intriguée par ce sujet si délicat et presque tabou, bien que souvent traité auparavant, curieuse de cet homme qui fut l'antépénultième Monsieur de Paris, Exécuteur des Hautes Œuvres de la IVe République.
Bourreau ! Ce n'est pas rien : s'y accrochent toutes les images d'Épinal imaginées depuis la Révolution française et la fameuse guillotine qui aujourd'hui font encore frissonner. Cette fameuse Veuve au service de la République, raccourcissant tous les condamnés, criminels les plus vils, les plus monstrueux, les plus stupides ou suprêmement intelligents, charismatiques ou banals à pleurer, courageux face à la mort ou pathétiques de veulerie, tragiques ou horriblement caustiques voire cocasses, hommes ou femmes, (moins nombreuses, protégées injustement par leur sexe), de la fin de l'ancien Régime en passant par la période maudite de la collaboration où là, des résistants, ennemis des régimes pétainiste et nazi, furent suppliciés ainsi, au lieu d'être fusillés.
Comment peut-on envisager d'être bourreau ? Comment le devient-on ?
Comment y survit-on ?
Avec beaucoup de respect, de tact, d'élégance, s'appuyant sur une documentation impressionnante, après un travail énorme d'investigation sur place, dans tous les lieux concernés par cette fresque historique et intime, auprès des familles, ne privilégiant que les faits et rien qu'eux, sans se laisser aller à des suppositions bancales, rétablissant des vérités après tant de mensonges de la presse à sensation, de jaloux, de malveillants, se mettant au service de ce récit incroyable dans un style littéraire concis, net, sans concession, quelques fois franchement grinçant ou drôle, Sylvain Larue relève le défi. Le ton et l'équilibre entre documentaire et narration sont parfaits, ne négligez surtout pas les notes en bas de page ni les intitulés des nombreuses photographies.
Au delà du destin même de Jules Henri Desfourneaux, c'est toute la société française qui est décrite, analysée dans son fonctionnement pervers et hypocrite. On veut du sang, on veut la vengeance, on est pour la peine capitale et on imagine quoi ? Que cela se fera par l'opération du Saint Esprit ? On exige le carnage mais on hait le dispensateur de la mort, soudain considéré comme l'ouvrier des basses œuvres.
Remercions Me Badinter alors Garde des Sceaux et tous ceux qui ont œuvré pour l'abolition de la peine de mort par décapitation. Notre démocratie est sortie de la barbarie grâce à eux.... La vengeance œil pour œil ne pouvait perdurer... Bien sûr reste en filigrane la pensée contagieuse que peut-être certains criminels devraient être tués par la République, éliminés.... les plus monstrueux, les pédophiles par exemple également meurtriers de leurs petites victimes, les satyres ou vampires comme baptisés alors.... Oui, on pourrait l'envisager, mais non... Que serions-nous devenus ? Serions-nous vengés ? Me Badinter dans un reportage expliquait que la peine de mort, la vue de la guillotine n'avaient jamais dissuader un criminel d'agir. Que certains d'entre eux étaient même favorables à cette condamnation...
Quant au personnage de Jules Henri Desfourneaux dépeint ici le plus fidèlement possible, il m'a laissée pensive, triste. Une envie de lui dire de tout laisser tomber, que ce n'est pas une mission supportable. Très loin du bourreau cruel, sans empathie, sans moral, c'est un homme dans toute sa complexité qui nous est restitué au mieux, ses doutes, ses douleurs, ses drames, ses entêtements, ses actes incompréhensibles, impardonnables peut-être, sa lâcheté, son courage, ses petitesses, ses jalousies, ses coups de gueule contre un ministère et une administration qui au même titre que la population finalement le méprisent, lui manquent de respect.
L'organisation interne de l'équipe du bourreau et de ses aides, le système de cooptation des nouveaux membres dans le cercle familial ou le voisinage, l'histoire des générations de bourreaux depuis la Terreur, la description du matériel, de son perfectionnement, de son montage, de son entretien, du déroulement de tout le cérémonial entourant une exécution, tout, absolument tout vous est raconté en détails.
Les affaires criminelles les plus célèbres comme les plus oubliées sont rappelées, ravivées, la sévérité des peines n'est pas toujours adaptées à la gravité des actes, des innocents sont suppliciés à tort, et des grâces présidentielles sont octroyées sans que l'on comprenne pourquoi. La justice paraît jouer quelques fois aveuglément à la roulette russe.
Un texte passionnant, effarant, qui fait écho aujourd'hui à la situation gravissime de tout l'appareil judiciaire et la perte de notre égalité de droit et de la présomption d'innocence face aux tribunaux. Il interroge sur notre niveau de civilisation ou de barbarisme. N'oublions jamais les leçons du passé, n'obéissons pas aux ordres amoraux, contre nos idéaux, notre constitution.
Facile à écrire ! Un livre remarquable quoiqu'il en soit.