
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Des ombres et leurs échos...
Jussy Kiyindou
Présence Africaine
2019
251 pages
Historique
Chronique
19 février 2020

« Et maintenant dors, mon petit enfant, volé jusqu'au royaume des songes, tisse ta route d'homme sur un fil d'ange. Vis !
Ne désespère pas ! Dans la candeur du soir, au plus profond des ténèbres, rêve. Rêve avec nous. Et quand viennent le malheur et le doute, dans la splendeur du jour renaissant, souviens-toi de nous. »
Ne pas écrire pour les morts mais avec eux ....
« Ibuka « souviens-toi »( en kinyarwanda)
Ibuka. N'oublie jamais,
Les jours de pleurs, mes nuits de plaintes,
Les torrents de sang, quand les nôtres se faisaient exterminer - Ibuka. »
Un texte qui au départ m'a désorientée, passé le premier chapitre fracassant décrivant cette famille en fuite devant la barbarie d'une guerre fratricide, en raison d'une construction en morceaux, comme la mémoire du personnage principal, Marcel. Puis, cette diffraction du récit devient un élément essentiel de par son pouvoir d'illustration de ce que sont les effets d'un traumatisme à long terme sur la psyché.
Quel que soit le temps écoulé entre le drame et la vie que l'on réussit tant bien que mal à se créer, dès que le sifflet de la cocotte minute commence à tourner, il est essentiel de le retirer et de laisser la pression s'échapper. Nous n'avons pas le choix.
Un très beau livre remarquablement écrit empreint de lyrisme, de poésie, d'une grande originalité dans le traitement. Ultra sensible...
Un jeune homme installé à Paris reçoit un appel du Congo Brazzaville où vit encore des membres de sa famille.... On aurait vu sa mère toujours vivante. Marcel après des études littéraires, un bout de parcours dans le théâtre, écrit quelques papiers pour une revue culturelle. Jean-Paul, son patron, a besoin d'un article dans trois semaines pour boucler son prochain numéro. Branle bas de combat dans la tête de Marcel... Alors il va se raccrocher à un livre qui lui a permis de se construire, de rêver, d'imaginer, comme tous ceux de sa génération : Harry Potter de J. K. Rowling...et pourquoi ne pas traiter le sujet de la possible sortie du huitième tome des aventures magiques.... Ainsi avec l'avance du magazine, vite il rejoint, après treize ans d'exil en France devenue sa patrie, la terre natale. Enfin il mène l'enquête.... Et tout revient à la conscience avec une violence, une immédiateté inouïes. Il est à nouveau enfant dans la tourmente face aux guerriers, face à son père maltraitant, face à sa mère protectrice et héroïque....
Qu'est devenue cette femme ? Un rite de passage vers l'âge adulte pour cet africain déraciné....
Très touchée par ces mots qui bien souvent auraient pu être miens concernant l'exil loin de l'Afrique, loin de celui qui reste la figure tutélaire de mes premières années.
Il faut beaucoup de talent mais surtout de témérité pour rédiger de telles lignes. Un hommage aux rescapés, aux mères courage, à une certaine Afrique en ce qu'elle a de plus authentique et essentielle. Un très bel hommage également à la littérature jeunesse, aux auteurs qui prennent le temps d'écrire pour les âmes innocentes ; des enfants ou jeunes adultes en pleine construction, nécessitant des repères, des béquilles pour plus tard, des connaissances, des modèles d'intégrité, qui feront d'eux des citoyens à part entière.
« Il arrive - quelquefois - sur le court chemin qu'est la vie, qu'une rencontre anodine change à jamais le cours d'un itinéraire. J. K. Rowling fut incontestablement l'une des miennes. Elle m'a réconcilié avec la lecture, avec le monde, avec la vie et je lui en suis encore, avec la certitude de ne jamais être seul, toujours, infiniment, reconnaissant. « J. K.
Playlist incomplète pour accompagner la découverte de ce texte : Alain Bashung, Jeff Buckley, Dalida, Nina Simone, Léo Ferré, Ray Charles, Georges Moustaki et Barbara, Vladimir Cosma, Debussy, Maria Callas Casta Diva, John Williams, Daft Punk feat, Simaro Massiya Lutumba, Nicholas Hooper, Leonard Cohen, Brian Eno, Alexandre Desplat, Schubert Standchen.....
Extrait :
« En 1994, nous avons fui à Massissia... Le 5 juin 1997, nous avons refait le même itinéraire....je ne sais pas si tu t'en souviens. » J'opinai.
« En 1998, une nouvelle vague a déferlé, plus forte et plus imposante que toutes les autres. Dire que nous ne l'avons pas vue venir serait un mensonge. Il y avait une rumeur. Il y avait des bruits. Pas sûr que nous ayons prêté bonne écoute à tous ces racontars mais nous avons tous entendu. En cette fin d'année, la ville entière était devenue calme et nous nous demandions ce qui allait se passer... ce qui, cette fois encore allait bouleverser notre vie. Quand les premiers tirs ont grondé, je me souviens que ta mère a pris ta petite sœur, qui était malade, elle a fait un petit sac, privilégiant le lait de l'enfant. Oui, je me souviens qu'elle n'a même pas eu le temps de prendre des vêtements de rechange. Elle n'avait qu'un pagne sur elle et une petite robe et ce sont les seul vêtements qu'elle a portés tout le temps qu'à duré la guerre... Elle, pourtant si coquette. [....] Ta mère est venue à la maison, en portant l'enfant sur son dos. Nous nous sommes demandé ce qu'il convenait de faire, vers où aller. Les gens ont vite évacué le quartier. Nous sommes sortis en suivant un mouvement de foule. Nous avons fui vers le Sud. Malheureusement, tout le monde n'a pas eu cette chance. Dans ce conflit fratricide - car c'est cela, le véritable problème de ce pays, jamais on ne nous attaque depuis l'extérieur, c'est toujours entre nous que nous versons le sang - beaucoup de nos voisins ont péri. Non vraiment, plus jamais ça ! »