
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Couleurs de l'incendie T2
Pierre Lemaitre
Albin Michel
3 janvier 2018
544 pages
Thriller & historique
Chronique
21 mai 2018

Deuxième Tome de la Trilogie « Les Enfants du désastre ».
Donc suite de « Au revoir là-haut », février 1927, on enterre le patriarche Marcel Péricourt, laissant derrière lui une banque, un empire, aux mains inexpérimentées de sa fille Madeleine, totalement perdue, élevée comme toutes les jeunes femmes de l'époque dans la bonne société pour être une potiche, une épouse, une mère, une invisible. Obsèques nationales évidemment, l'endroit où on doit être vu absolument, mais il fait un froid de gueux, qu'on en termine vite.
Les vœux de la populace riche et célèbre vont être exaucés par le petit fils de Marcel, Paul sept ans ! Un moment hallucinant, un geste irréparable, qui va changer irrémédiablement le destin de sa mère. Pierre Lemaitre n'y va pas avec le dos de la cuillère, si j'ose dire.
Déjà les flammes du grand incendie allumé par Hitler et ses sbires rougeoient à l'horizon, déjà le brasier de la révolte du peuple crépite en ces temps de disette, de dette nationale abyssale, des premiers impôts, d'escroqueries des politiques et des patrons, d'une presse de vendus, de l'émergence du communisme et d'une gauche revendicatrice, d'un crash boursier, d'un ras le bol général, déjà les feux de l'envie et du mal brillent dans les yeux de tous les charognards venus se repaître sur la dépouille de Marcel : son ancien adjoint Gustave Joubert, empli de rancœur et de haine, Charles Péricourt le frère politicard raté, tenu à bout de bras toute sa vie par feu le banquier, André Delcourt gigolo, littérateur à la petite semaine, précepteur de Paul, à l'ambition nauséabonde et l'immoralité crade. Le pire de tous.
Ce joli trio va s'acharner sur Madeleine, puisque sans la protection paternelle et avec ce qui vient d'arriver à son fils, elle est dans un état total de sidération. Toute la première partie concerne cette mise au pilori et le déclassement social de cette mère célibataire trahie par tous.
Heureusement que tout est décrit avec verve, humour acéré, au vitriol. Ce personnage de Madeleine m'avait franchement énervé dans le premier tome, une vraie tête à claques. Mais là, c'est si violent, la détermination de chacun à la dépouiller et l'anhiler est tellement Implacable, que son inéluctable destin est révoltant.
Avec le début de la deuxième partie, on se dit que le tsunami qui l'a rincée n'a peut-être pas été inutile. Ce tome est le volet féminin au premier qui fut évidemment rempli de testostérone. À partir de là, tout devient jouissif, enfin la donzelle se réveille, il était temps.
Trois personnages féminins, en plus de celui-ci, très hauts en couleurs, apportent légèreté, rires, émotions et réflexions sur la condition de femme et de citoyenne en cet entre deux- guerres : Léonce Picard le fantasme sur pattes à la malhonnêteté et la légèreté de mœurs assumées, Vladi la cocasse nurse de Paul, polonaise ignorante jusqu'au bout de la langue de Molière, avec un grand coeur, et la diva adorée par le petit garçon, l'énorme et attachante Solange Gallinato, adulée par les foules pour sa voix, figure tellement bouleversante et courageuse. l'Art au dessus de l'inhumanité !
L'incendie brille au loin et dans le cœur de toutes ces femmes pleines de bravoures, obligées de faire avec les règles d'une société machiste et paternaliste, malgré le rôle qu'elles ont pu jouer pendant la première guerre mondiale.
Le dernier point primordial à mes yeux est la grande ressemblance entre ces années trente et aujourd'hui, où l'impression d'être aux portes d'un nouveau conflit mondial d'une nature différente, d'une remise en question globale de nos sociétés libérales est d'une réalité terrorisante et incontournable.