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Éva a lu pour vous ..

Chroniques littéraires

Constance Pascal - Une pionnière de la psychiatrie française (1877-1937)

Felicia Gordon

Editions des Femmes Antoinette Fouque

2023

368 pages traduites par Danièle Faugeras

Biographie

Chronique

25 mai 2023

« Les idées sont des succédanés des chagrins. » Marcel Proust «


« Doctoresse C. Pascal (1877-1937) » est inscrit sur la pierre tombale du cimetière de Neuilly-sur-Marne, 4e division, numéro 1352, il faut se baisser et frotter la pierre pour faire apparaître les lettres, ainsi que celles de Jeanne Pascal-Rees, sa fille, et Edmund Rees, son gendre, une plaque « Souvenir d'amitié », des lichens blancs sur la dalle noircie. »


L'oubli aurait pu en effet engloutir le nom de Constance Pascal si sa fille n'avait pas décidé qu'il n'en serait rien, que l'œuvre de sa mère en tant que pionnière de la psychatrie française ne serait pas effacée dans les livres d'histoire toujours si inégalitaires envers la moitié de la population mondiale. Ainsi, vieille femme à l'orée de sa fin, Jeanne Pascal-Rees a pris la plume et écrit à Felicia Gordon. Elle lui a fait confiance, lui a révélé le secret de sa naissance et ce que celui-ci représentait de souffrances endurées par sa mère.


La période de cette fin du XIXème siècle et du début du XXème siècle n'est pas tendre pour les femmes. Elles sont enfermées dans un carcan de lois patriarcales injustes et insupportables. Dès sa jeunesse en Roumanie, le pouvoir de son père s'abat sur la jeune fille de bonne famille, celui-ci ne lui laissant pas le choix : se marier, enfanter et se taire. Difficile d'accepter cela pour Constanza à la tête bien faite, éduquée, curieuse, surdouée.


Un rêve, partir en France dont elle parle la langue. Elle se coupe de ses racines, de cette famille, de ce frère Trajan qui a repris le flambeau paternel, et se lance seule dans une nouvelle vie en pays étranger. Même aujourd'hui, nombre d'entre nous serions paniqués. Sa terreur l'oblige à se surpasser, elle réussit, se fait lentement une place dans le monde hospitalier et particulièrement dans celui de la psychiatrie. Cela signifie qu'en cette époque bénie, elle ne peut ni se marier car elle serait de facto reconsidérée comme mineure sous tutelle de son époux et ne pourrait évidemment pas garder son poste, ni avoir d'enfants hors mariage. De plus le personnel étant logé sur place, bonjour la promiscuité, l'absence de vie intime et de confort.


Elle est engagée dans la lutte pour l'égalité entre les sexes et le droit de vote des femmes mais use également de ses atouts féminins pour obtenir ce qu'elle veut sans en abuser. Elle utilise les codes de son époque : là où les journalistes et les collègues ne voient qu'une charmante et très féminine doctoresse, ils devraient discerner le caractère en acier trempé, la volonté farouche de se faire entendre et d'obtenir les améliorations indispensables à la bonne marche des services psychiatriques dont elle a la charge. Elle n'est pas présentée par Felicia Gordon comme une personne irréprochable, exemplaire, héroïque. Elle est imparfaite, autoritaire, entêtée, faillible car femme et doctoresse de son temps, par exemple son traitement par chocs émotionnels pathogènes ou thérapeutiques de certaines maladies mentales est pour le moins dangereux, et l'utilisation des internés pour ces essais sans leur consentement plus que discutable.


En revanche mettre sous le tapis sa contribution évidente et essentielle aux progrès des soins apportés aux malades en ce début du XXème siècle, à la manière de les traiter avec humanité, en particulier les enfants pour certains moins atteints ayant accès grâce à elle à l'éducation, son obsession de l'hygiène, de l'ordre, du non-usage de la violence, est totalement inacceptable. Son questionnement sur l'origine des pathologies, innées ou acquises, est primordial ; Sa remise en question des théories freudiennes est remarquable comme sa compréhension de l'importance de la psychologie et de la bienveillance auprès des malades mais aussi du personnel soignant. Son problème avec l'autorité découle certainement de ses relations traumatisantes avec son père et ensuite son frère. Cette femme est orageuse et ses éclairs peuvent être violents. Enquiquineuse, entêtée, insupportable, mais aussi clairvoyante, géniale, profondément humaine sous des dehors froids et professionnels. Les responsabilités qu'elle va endosser dans un monde d'hommes sont colossales et l'épuiseront. Mais elle va continuer jusqu'au bout de ses forces.


Quant à sa vie privée, il est difficile pour nous de comprendre à quel point la société entière maintenait les individus piégés par des règles qui nous apparaissent totalement ubuesques aujourd'hui. Ainsi cette impossibilité de se marier si une femme travaillait, l'opprobre jeté sur les mères célibataires, l'interdiction pour un individu de divorcer d'un conjoint interné, ou pour un militaire de se marier s'il voulait faire carrière. Les relents de l'ère napoléonienne sont encore bien puissants et vont empoisonner la vie intime et professionnelle des français jusqu'à l'après Seconde Guerre mondiale. Constance va vivre toute sa vie de mère dans la crainte que le secret de la naissance de sa fille bien aimée ne soit découvert.


Cette biographie est passionnante tant elle nous fait découvrir, par le biais de la vie exceptionnelle de cette héroïne, l'histoire de la psychiatrie moderne. Un livre remarquable, bâti sur des fondations solides, des documents privés mis à disposition généreusement par Jeanne Pascal-Rees, et officiels. On mesure actuellement combien le chemin sera encore long pour que les malades soient pris en charge correctement, tant il est évident que nous pouvons nous inquiéter des traitements appliqués aujourd'hui dans certains établissements psychiatriques. Nous régressons, c'est un fait, malgré toute l'abnégation et l'implication de certains membres du personnel hospitalier. Ce sont toujours les plus faibles et démunis qui souffrent en période de guerre. La nôtre est sociale et économique. Ne nous leurrons pas et faisons en sorte que tous les progrès et toutes les avancées réalisés par des praticiens telle Constance Pascal n'aient pas été vains.

Quatrième de couverture

Constance Pascal a été l’une des premières femmes psychiatres en France, début du XXe siècle. D’origine roumaine, elle décide très jeune de prendre son destin en main et débute des études de médecine en France.
Connue pour ses travaux sur la démence précoce, elle a fondé l’une des premières écoles françaises pour les enfants présentant de graves difficultés d’apprentissage.
Sa ténacité lui a aussi permis d’obtenir la direction de plusieurs départements de psychiatrie. Soucieuse d’améliorer les traitements ainsi que le confort de vie de ses patients, elle s’est heurtée toute sa carrière à la misogynie et au mépris de certains de ses supérieurs hiérarchiques. Cela n’a en rien entamé sa détermination.
L’analyse d’articles et travaux de Constance Pascal elle-même permet d’appréhender son apport à la psychiatrie avec plus d’acuité.
Dans cette biographie fournie, mêlant archives de sources institutionnelles et familiales, Felicia Gordon s’attache également à retracer le parcours intime de cette femme d’exception, à travers sa relation discrète mais constante avec le général Mengin mais aussi celle, toute aussi belle, qui l’unissait à sa fille.
Cette biographie n’est pas seulement celle de Constance Pascal. Il s’agit d’une fresque vivante du développement de la psychiatrie en France, de la Belle époque jusqu’à la veille de la seconde guerre mondiale.

On imagine difficilement, n’est-ce-pas, une vie plus laborieusement et plus glorieusement remplie ? Mais ce ne fut pas, certes, sans avoir à lutter contre toutes les routines, les préjugés de tous ordres et surtout contre un misonéisme parfois intransigeant. Les femmes de la génération qui monte ne devront pas oublier au prix de quels efforts, de quels sacrifices, de quelles douleurs parfois leurs aînées auront creusé le sillon.
Élise Émile-Magne à propos de Constance Pascal.

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