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Éva a lu pour vous ..

Chroniques littéraires

Comme si de rien n’était

Alina Nelega

Editions des Femmes Antoinette Fouque

2021

288 pages traduites par Florica Courriol

Roman

Chronique

10 avril 2021

« Comme si de rien n'était » reçoit en 2020 le prestigieux prix roumain Observator cultural.

« Quant au titre, la formule consacrée devrait déjà nous mettre la puce à l'oreille : car comme si de rien n'était, nous sommes happé.e.s par cette narration dès les premières pages. Comme si de rien n'était, il s'y passe en fait énormément de choses. Dans une société apparemment lisse où le pouvoir veut que les citoyens soient heureux, on fait semblant de vivre comme si de rien n'était, on fait semblant de soutenir le système ; d'accepter sans broncher, comme si de rien n'était, les malversations, les combines des collègues et des proches ; on se rend chez un.e ami.e, comme si de rien n'était, alors qu'il.elle est arrêté.e où se trouve en domicile surveillé, on se met au lit sous les couvertures pour qu'il.elle puisse chuchoter, non pas des déclarations amoureuses mais les motifs et les circonstances de son arrestation ; comme si de rien

n'était, on élève un enfant et on laisse croire à la famille et aux ami.e.s que son père est votre mari et pas le type du Parti qui vous a imposé sa loi de mâle ; on revoit l'amour de sa vie, on se comporte avec elle comme devant une quelconque ancienne camarade de lycée, alors qu'on l'aime à en mourir, on fait comme si de rien n'était... »

Florica Courriol - janvier 2021


Oui comme si de rien n'était, on fait semblant de vivre une existence normale alors qu'on est piégé dans un univers grotesque, ubuesque où le roi est Ceaucescu, le "conducatorbienaimé" et la reine "notremèreànoustous" qui édictent des règles de fou, dont les ombres planent tels des vampires sur cette Roumanie, sur cette Transylvanie. On se dirait dans un roman de Science-fiction malheureusement ce n'est pas le cas. Les apparences ne sont pas trompeuses, nous sommes enfermés dans un asile d'aliénés à grande échelle, épiés nuit et jour par l'Organe, la Securitate, la Milice, le Parti. Votre destin ne vous appartient pas, vous ne vous appartenez pas, d'autant plus si vous êtes femme et le comble, homosexuelle. Votre vie intime appartient au Parti, votre sexualité est une question politique, vous êtes doublement criminelle et dans la ligne de mire de tous les petits chefs, de tous les violeurs et profiteurs en puissance. Votre terreur les fait jouir, ils sont intouchables, même si le régime s'écroule, ils savent qu'ils s'en sortiront... Alors vos pauvres menaces de dénonciation, ils s'en foutent totalement. Ils sont les dieux du communisme. Être femme libre n'importe où dans le monde est déjà en soi un sacré challenge à relever, dans une dictature cela tient du fantasme.Notre Alice, ou Cristina, n'est pas tombée au pays des merveilles et doit alors se transformer en Crocodila qui n'a peur de rien, personnage de conte sorti tout droit de son imagination fertile pour son fils Stefan, si innocent, si adorable. Ce qui fait de cette roumaine un être à part c'est son don pour l'écriture, sa capacité à inventer d'autres univers pour supporter celui où pénurie, corruption, abus sexuels et politiques, délation, paranoïa, saleté, désespérance, sont le pain quotidien de cette société malade.Son amour pour Nana aussi la soutient, la nourrit, en silence, cachée. C'est un sentiment criminel, une aberration... Alors elle fait comme si de rien n'était même si son corps, son coeur hurlent, se brisent..... Elle obéit sans réussir à convaincre de son innocence l'œil du Parti qui ne la quitte pas, la suit partout, sait tout d'elle.


On suffoque, on a mal au ventre, on éclate soudain en rires libérateurs ou nerveux, en larmes intérieures le plus souvent. Y-a-t-il un avenir en ces années 80 pour les Roumains ?Le rouleau compresseur de l'Histoire ne va-t-il pas tous les écraser impitoyablement ? Qui s'en sortira ?


Un texte sans discontinuité, sans annonce de changement d'idée, de cadre, une ponctuation capricieuse, le tout pour illustrer par cette linéarité infernale le sentiment d'avancer inéluctablement, comme si de rien n'était, vers sa chute. L'impuissance face au monstre communiste est une réalité, nous nous sentons peu à peu broyés.Puissance du message donc porté par une mise en place qui nous bouscule, nous maltraite, nous force à ne pas faire comme si de rien n'était.


La note d'introduction de Florica Courriol est parfaite et exprime mieux que je ne pourrais jamais le faire ce que je voudrais vous dire sur ce roman. J'en sors évidemment révoltée, triste et prête à en découdre pour la sauvegarde de nos libertés de citoyen.ne.s face à un gouvernement qui se radicalise.


Je tiens à vous rassurer, la poésie et l'humour, ne sont pas absents de cette narration, bien au contraire. Merci aux Éditions des femmes Antoinette Fouque pour leur confiance renouvelée.

Quatrième de couverture

« En écrivant, elle se dit qu’elle réussira à mieux comprendre – en interchangeant le personnage de Nana avec celui d’un garçon, peut-être, avec Dani ou Mits, par exemple, ce serait plus facile – ah non, ce ne serait pas plus facile. Elle devrait s’instruire davantage sur les corps et les émotions, comprendre pourquoi son ventre est serré, nœud de désirs et d’inquiétudes, elle les reconnaît bien, ils sont clairs ces mots, mais elle a peur de les exprimer. Ah, si elle pouvait courir, voler, se jeter sur le sable chaud d’une mer, écouter, éperdue, le bruit des vagues. Elle s’imagine les vagues et au dessus, la montagne. » A.N.

Cristina traverse son adolescence dans les années 1980, durant la dernière décennie de la dictature roumaine. Élève dans un lycée de province, elle s’éprend d’une camarade de classe issue d’un milieu plus élevé et se découvre une passion pour l’écriture. Mais les diktats imposés par le régime lui barrent le chemin. Jeune adulte, elle s’efforce de naviguer entre les contraintes politiques, familiales et sociales qui pèsent sur les femmes. Elle essaie d’écrire, jonglant entre précarité, censure et autocensure. Avec un humour corrosif, les plus subtils rouages de l’oppression sont mis à nu.

« Alina Nelega a chamboulé avec Comme si de rien n’était les habitudes littéraires roumaines par un sujet peu abordé jusque là : l’homosexualité féminine. Placé dans un cadre historique précis, mais qui s’éloigne du souvenir des Roumains – la dernière décennie du «règne » Ceausescu -, le livre se présente comme un arrêt sur image de toute la société roumaine. Il y est question de la fameuse Securitate, du contrôle de la sexualité par le Parti, de pénurie, de corruption, de relations interethniques en Transylvanie – où se déroule principalement la narration -, d’abus politiques, de révolte étouffée. Il y est question d’amour et de féminité mais surtout de liberté. »

A propos de Florica Courriol :
Traductrice littéraire du roumain. Née en 1952, Florica Ciodaru-Courriol enseigne le roumain à l'université Lyon II.

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