
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Christian Dior, un destin
Marie-France Pochna
Flammarion
13 octobre 2021
528 pages
Biographie
Chronique
12 octobre 2021

« Je serais bien ingrat, surtout bien inexact, si je n'inscrivais pas en capitales, le mot « hasard » au début de mon aventure. Celle-ci ayant été heureuse dans sa conclusion m'amène, par devoir de reconnaissance, à proclamer ma fidélité aux diseuses de « bonne aventure ». »
Christian Dior dans « Christian Dior et moi », Bibliothèque Amiot Dumont, 1956, p. 7.
J'ai corné les pages et souligné des passages de cette biographie, ce qui est un très bon signe quant au sérieux et à l'engagement de l'autrice à nous faire découvrir le grand homme dans son intimité, dans ce qu'il a de plus touchant ou de plus impressionnant ; la somme d'informations historiques et anecdotiques données sur Christian Dior et son entourage est impressionnante.Marie-France Pochna réussit à rassembler les différents éléments d'une vie incroyable, puis à les assembler sans que les coutures ne soient visibles jusqu'à nous offrir un texte où l'excellence est reine, celle de la pensée, du geste, de la réalisation. Nous sommes dans le domaine de l'artisanat d'art où oui, seule l'excellence est acceptable et non l'à peu près. Comme pour un défilé de Haute Couture, le choix des couleurs, des matières, de la ligne générale puis des détails, des mannequins, de l'histoire que l'on veut raconter, est primordial ; ainsi la construction de ce récit puis la recherche, (dans les registres de la maison Dior et autres établissements ou auprès de certains protagonistes proches du couturier), des documents, des faits, des témoignages et souvenirs, des clichés, sont une étape délicate, incontournable, ne souffrant nulle approximation. J'ai regretté que des photographies ne soient pas ajoutées en milieu d'ouvrage. Je les ai donc chercher sur internet, tout au long de ma lecture, afin de personnifier les nombreux intervenants de ce texte.
J'ai retrouvé l'atmosphère particulière tantôt joyeuse, passionnée, effervescente, comique, tantôt délétère, explosive, tragique, d'une maison de Couture dans ce quartier particulier de Paris. Je fus styliste chez Ted Lapidus un peu plus haut dans la rue François 1er et passais matin et soir devant la célèbre maison et ses vitrines enchanteresses pour rejoindre l'arrêt du bus 42.
Je baigne dans le monde de la couture, de la création, du travail manuel depuis toujours par ma mère. Les noms des créateurs d'avant la seconde guerre mondiale, pour lesquels ma grand-mère maternelle travaillait comme couturière en freelance, ont bercé mon enfance.
Le portrait ici tracé de Christian Dior, enfant puis jeune homme jusqu'au succès soudain du New Look en 1947, nous fait découvrir un être pluridisciplinaire, surdoué, imaginatif, tendre, instinctif, très différent du reste de sa fratrie, attaché à l'excès à sa mère, cherchant son approbation en tout, se limitant de fait à cette seule femme avare de tendresse et de preuves d'amour, passant peut-être à côté d'un père qui aurait pu lui apporter un plus grand équilibre.Sa plus jeune sœur Catherine, qui mériterait à elle seule une biographie, est sa préférée et son seul lien le rattachant à cette famille Dior après la mort soudaine de leur mère.
Ultra sensible, doué d'une prescience quant aux événements à venir, de constitution fragile, il attrape le mal du siècle, la tuberculose.
Son monde est fait de fantaisie, d'amis artistes variés, il touche à tout, doué pour tout, musique, costumes de théâtres, il cherche sa voie et le grand Amour... mais la ruine de son père suite au Crash boursier américain l'oblige à vite trouver un travail de bureau, n'importe lequel. À lui la vie de bohème la nuit, l'hospitalité chez les uns et les autres, l'ennui le jour à un poste "normal" et mal payé. Il ne mange pas à sa faim mais sa richesse est ailleurs, dans ses relations avec les plus grands esprits de son temps. C'est une période de formation, de gestation....
Un des éléments fondamentaux, centraux de cette vie est l'amitié indéfectible et loyale des proches ; la solidarité et la générosité en découlent naturellement. Dior n'oubliera jamais cette aide multiple apportée aux moments les plus noirs de son existence, ne serait-ce que pour l'aider à se nourrir puis à financer sa cure afin de lutter contre la maladie. Et le miracle a lieu, il guérit, puis la guerre emporte tout sur son passage, projets artistiques et sa sœur, devenue résistante, arrêtée, torturée, envoyée en camps de concentration.... revenue brisée. Une âme forte !
Ce sont encore les amis et l'entourage, persuadés du talent créatif hors norme de Christian Dior qui sont à l'origine de l'immense succès, en février 1947, du défilé de Haute Couture présenté par Christian Dior, financé par Marcel Boussac. On a du mal à imaginer ce que fut cette incroyable réussite. Les planètes se sont alignées, c'était le bon moment, tout était parfait....
Dior écrit pour définir la maison de couture de ses rêves et sa stratégie :
« Je n'y ferai que des modèles apparemment simples, mais d'une confection très élaborée. »
« Les marchés étrangers, après la longue stagnation de la mode due à la guerre, réclament des modèles réellement nouveaux. Pour répondre à cette demande, il faut revenir à la tradition de grand luxe de la couture française. »
« J'estime pour ma part que la justification de cette maison, c'est qu'elle devrait ressembler - en un monde où tout va vers la machine - davantage à un laboratoire qu'à une usine modèle. »
Le New Look va déferler sur ce monde encore meurtri par la seconde guerre mondiale, léchant ses plaies à peine cicatrisées. Une société naît où les femmes ayant joué un rôle crucial lors du conflit, n'entendent pas retourner à l'invisibilité exigée par des règles mysogines et rétrogrades. Déjà ce mouvement contestataire féminin s'était affirmé après 1918. Il ne fait que se renforcer depuis la chute du nazisme. La forme en 8 de la silhouette imaginée par Dior n'est pas reçue avec
enthousiasme par toutes les femmes d'autant plus aux USA. Cela n'empêche pas cependant, grâce au charme, à la gentillesse, à la discrétion étonnante de Christian Dior, anglophone, le raz de marée du New Look d'envahir aussi le marché américain.
Autour de lui une équipe de choc, ses « fées » comme il les baptise :
Mitzah Bricard la muse, Marguerite Carré la fée ouvrière, Raymonde Zehnacker la fée administrative.
Membres de second cercle, les assistants :
André Levasseur, Gaston Berthelot, Frédéric Castet, à ses côtés depuis la fondation de la maison, mais aussi Yves Saint Laurent arrivé en 1955, Jean-Louis Scherrer ...
Une maison de couture c'est une petite ville dans la capitale, dont chaque rouage a son importance. Suzanne Luling, amie d'enfance de Christian Dior, directrice des salons et des ventes et grande animatrice des relations publiques de la Maison Dior reste inoubliable.
Citons enfin les deux directeurs Jacques Chastel et Jacques Rouët, qui furent exemplaires d'autant plus qu'il fallait tout inventer, trouver des moyens de s'adapter aux marchés étrangers avec les licences, tout en protégeant la griffe et les créations de tout plagiat.
Cette aventure très courte au demeurant jusqu'au décès prématuré du couturier en automne 1957 en Italie, est tout à fait extraordinaire et unique en ce qu'elle s'inscrit dans une mondialisation et une démocratisation de la Haute Couture en prêt à porter de luxe et en produits dérivés sous contrôle de la marque. Du jamais vu auparavant, et en cela Christian Dior et ses partenaires et collaborateurs ont su voir dans l'avenir, être toujours en avance sur la concurrence, créer les tendances artistiques et commerciales à grande échelle. Un empire naît alors qui, même après la mort du couturier, perdurera grâce à l'abnégation et l'intelligence de certains de ses amis tel Jacques Rouët. Une maison comme Dior, ce n'est pas seulement les ateliers de création, de couture, les salons de présentation des modèles, c'est également une direction, une administration, qui répondent aux mêmes exigences d'excellence que le reste des services... une hiérarchie stricte régit cette petite armée au service du beau, de l'exceptionnel, de la défense du savoir faire et de l'artisanat français et parisien. Aucun faux pas n'est envisageable, les sommes investies sont colossales, le nombre de salariés phénoménal en France et dans le monde. Nul n'a le droit à l'erreur.
L'autrice s'inscrit dans cette logique en nous offrant ce très bel ouvrage, passionnant, touchant, foisonnant, très bien construit et organisé jusque dans ses tables et notes finales. A garder précieusement dans sa bibliothèque comme livre de référence. Je souligne la beauté de la présentation avec en bandeau, la photo de Christian Dior, en noir et blanc sur papier glacé.