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Éva a lu pour vous ..

Chroniques littéraires

Chanson Bretonne, L'enfant et la guerre, Deux contes

J.M.G Le Clézio

Gallimard

12 mars 2020

160 pages

Historique

Chronique

15 août 2021

Un splendide texte d'une grande sensibilité, une merveille impressionniste, composé de deux parties, axé sur l'Enfance... Ici l'auteur, au-delà de la simple et incomplète narration de souvenirs incertains, ce qu'il se refuse à faire, s'attache aux sensations qui furent les siennes, aux traces laissées dans son corps, dans son esprit jusqu'à aujourd'hui. Par petites touches délicates, il peint un autoportrait de l'enfant qu'il fut en temps de paix après ces neuf-dix ans, puis se replonge dans la période troublée de la guerre.


Dans « Chanson Bretonne », J. M. G Le Clézio revient sur les terres bretonnes de ses étés lumineux, fouetté par les vents et les embruns, les yeux éblouis par la lumière changeante, par la beauté des paysages maritimes ou campagnards, l'ouïe encore excitée par le bruit des mouettes, du ressac, par l'accent minéral de cette langue bretonne parlée quotidiennement en ces années d'après guerre, la saveur toujours perceptible sur sa langue des galettes et spécialités culinaires de la région, les muscles encore tétanisés par le poids des brocs au retour du seul point d'eau du petit village perdu. Il reste marqué par l'authenticité de ce pays, des habitants, qui toujours ont gardé des temps anciens, lorsque Anne de Bretagne avait le pouvoir, cette autonomie morale, culturelle, ancestrale vis à vis de Paris et de la France.


Ce n'est pas pour autant un texte nostalgique du style « c'était mieux avant », car lors de ses retours brefs, alors adulte puis homme dans la maturité, ce que la modernité, les nouvelles réglementations nationales ou européennes ont pu apporter à une frange de la population en très grande précarité, voire dans un dénuement extrême dans les années cinquante, n'est pas à négliger. La pauvreté était visible dans l'arrière pays, les gens étaient rudes à la tâche, se battaient contre les éléments, contre le destin. Souffraient-ils moins de la pollution ? Oui certainement, mais ils crevaient de faim. Les églises sont fermées, les prêtres étrangers au pays se partagent aujourd'hui entre plusieurs localités. Les petites exploitations agricoles et maritimes ont disparu effectivement pour laisser place à un autre type de structures, de moyens de commercer, de gagner sa vie. Le breton n'est plus parlé, remplacé par le français, mais des artistes, des intellectuels, des irréductibles continuent à faire vivre cette culture dans le cœur de tous, lui donnant même une aura internationale. Et Paris peut toujours exiger, les Bretons sont têtus et résistants à tout.


Voici un premier extrait du conte,

« Chanson Bretonne » puis je vous parlerai de la seconde partie « L'enfant et la guerre » :


« Ce n'est pas par goût pour la nostalgie que je voudrais reprendre cette histoire, en ajouter les segments, retrouver le courant de la vie. C'est pour rendre compte de la magie ancienne, la voir apparaître à travers le reflet illusoire du présent. Hervé, cet homme dont je fais mon héros, doit ressembler trait pour trait à mes lointains ancêtres des bords du Blavet, je l'écoute me parler de son enfance dans une ferme du bord de mer, dans la commune de Poullan. Il en parle en hésitant, en choisissant ses mots, parce qu'il doit les traduire de la langue bretonne dans laquelle il est né. [...] J'aime écouter Hervé parler de magie du lieu. Quelque chose du mystère de la Bretagne s'est transmis ici, est resté vivant malgré la modernité. Cela passe par certains hommes, certaines femmes, héritiers de traditions ancestrales, peut-être parce qu'ils ont été éduqués par la terre, par le vent et les saisons plutôt que par l'école communale. [...] Il garde un lien avec la nature, il ressent les changements de temps, les menaces d'ouragans, il interroge la mer, l'horizon. Comme les héros du roman de Stevenson, il est capable de s'émouvoir de la beauté de la lande, lorsque les bruyères fleurissent, ou d'écouter la musique que font les ruisselets après la pluie. Parler la langue bretonne, ou rêver d'un avenir politique pour la Bretagne, ce n'est pas ce qui est important pour lui. Il est de ce pays, naturellement, sans orgueil, sans plainte, aussi vrai que les rochers et les chênes, que les goélands et les chevreuils - où les lapins de garenne à qui il réserve toujours une part de ses récoltes. Grâce à son travail, et au savoir-faire de son épouse Marie-Ange, la maison où ils se sont retirés, après toutes ces années de dur labeur, est une oasis fleurie au milieu de la lande.

C'est à eux que je voudrais dédier ce petit conte, non comme une confession ou un album de souvenirs, mais comme une chanson bretonne, un peu entêtée et monotone, de celle qui dit encore dans les tempêtes la Roche qui chante, ou de celles, j'imagine, que mes ancêtres ont répétées jadis en frappant la terre du pied, dans la chaleur des fêtes de nuit, avec le fond sonore aigrelet du biniou et de la bombarde, et que le vent a emportées. »


Le deuxième texte, « L'enfant et la guerre », profondément bouleversant et malheureusement toujours d'actualité, aborde le sujet délicat, mystérieux, de la perception pour un tout petit enfant, de ce qu'est la guerre. L'auteur est né quelques mois après le début du conflit ; son père (aux origines bretonnes lointaines), vient de l'ile Maurice alors sous mandat anglais. Il est avec les troupes alliées posté en Afrique alors que sa femme et ses enfants sont à Nice. Être britannique est, en ces années 1940, aussi dangereux que être juif : les nazis haïssent au delà de tout, tous ressortissants du Royaume-Uni. Alors, la petite famille agrandie des grands-parents se tassent dans une gimbarde pour rejoindre un village de l'arrière pays. Les faits sont là, vérifiables, mais que garde l'écrivain de ces années de petite enfance ? Son intelligence est encore instinctive, réactionnelle, il n'a aucun moyen de comprendre ce qu'est la guerre, il n'a pas d'éléments de comparaison comme ceux qui ont connu la paix. Le voici donc en vase clos avec les siens dans un petit appartement, cocon protecteur et chaud, en confinement. Jusqu'à un événement toujours vif dans la mémoire sensorielle de l'écrivain : l'explosion d'une bombe dans la cour de l'immeuble, une bombe qu'il pensera être canadienne, larguée au moment de la Libération.... Un engin qui n'est pas de la même puissance que ceux lâchés sur les civils en Palestine, Syrie, Liban, Iran etc, etc ... L'adulte se pose la question centrale de la résistance et de la capacité de résilience des enfants d'aujourd'hui pris pour cibles de la barbarie.

Comment survivent-ils psychologiquement, comment vont-ils aborder l'après-guerre si enfin elle survient ?


Pour lui, cette état de sidération dû au conflit mondial va se poursuivre très longtemps du fait que l'armistice signée, le confinement, le dénuement, l'absence de nouvelles du père, vont perdurer au delà du supportable. Mais enfin, grâce à l'obtention par ce père d'un poste au Nigeria, le départ de la famille à nouveau complète est possible... C'est l'Afrique qui apprendra à l'enfant ce qu'est la paix, ce que peut être la Vie.


Extrait :

« Pour la France, la Seconde Guerre mondiale a commencé le 3 septembre 1939. Je suis né à Nice le 13 avril 1940. Les cinq premières années de ma vie, je les ai vécues dans une guerre. Pour moi, cette guerre - toutes les guerres - ne peut pas être un évènement historique. Je ne peux pas la comprendre comme un fait, dont j'analyserais les causes, dont je déduirais les conséquences. Je ne peux pas en parler objectivement, la relier à une situation politique ou morale, en faire un argument, en examiner le caractère inéluctable, en tirer les leçons philosophiques. Pour en parler, je n'ai aucun recul. Seulement des sentiments, des sensations, ce flux mouvant qui porte un enfant entre le jour de sa naissance et le tout début de sa mémoire consciente, à l'âge de cinq ou six ans.

Il ne s'agit pas d'écrire des souvenirs d'enfance. »


Quatrième de couverture

« Pour rien au monde nous n'aurions manqué cette fête de l'été. Parfois les orages d'août y mettaient fin vers le soir. Les champs alentour avaient été fauchés et la chaleur de la paille nous enivrait, nous transportait. Nous courions avec les gosses dans les chaumes piquants, pour faire lever des nuages de moustiques. Les 2 CV des bonnes sœurs roulaient à travers champs. Les groupes d'hommes se réunissaient pour regarder les concours de lutte bretonne, ou les jeux de palets. Il y avait de la musique de fanfare sans haut-parleurs, que perçaient les sons aigres des binious et des bombardes. » À travers ces « chansons », J.M.G. Le Clézio propose un voyage dans la Bretagne de son enfance, qui se prolonge jusque dans l'arrière-pays niçois. Sans aucune nostalgie, il rend compte de la magie ancienne dont il fut le témoin, en dépit des fracas de la guerre toute proche, par les mots empruntés à la langue bretonne et les motifs d'une nature magnifique. Le texte est bercé par une douceur pastorale qui fait vibrer les images des moissons en été, la chaleur des fêtes au petit village de Sainte-Marine ou la beauté d 'un champ de blé face à l'océan.

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