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Éva a lu pour vous ..

Chroniques littéraires

Chagrin d'Espagne

María-Josefa Ávila

Quai des Brunes À Brûle-Pourpoint

Mars 2021

88 pages

Mémoire

Chronique

31 mars 2021

« Le 3 juin 1939, vers 5h30, Avelino a regardé le ciel pour la dernière fois. Il a vu briller les étoiles dans le ciel de Tarancón, ville où il avait grandi et, certainement, été heureux. Dans quelques instants, il sera fusillé et ne sera plus qu'un cadavre que les assassins jetteront dans une fosse commune, avec les dix autres fusillés. Murio sin saber por qué Le acribillaban el pecho Luchando por el derecho de un suelo para vivir. » Il mourut sans savoir pourquoi On le criblait de balles Alors qu'il luttait pour son droit à la vie." Extrait de "Preguntas por Puerto Montt", chanson de Victor Jara. "Le français est un refuge, une grotte que le malheur familial n'atteint pas. Je suis une naufragée de l'Espagne à qui la langue française offre un instrument pour chanter l'histoire d'Avelino. [...] Espagnol, langue des entrailles, de la terre des ancêtres. C'était la seule langue dans laquelle je pouvais comprendre ma mère car elle n'aurait pas pu me dire tout cela en français. J'ai grandi entre ces deux langues, comme une île à la confluence de deux rivières." Évidemment j'ai repensé aux textes magnifiques de Carlos Luis Zafon et en particulier au « Labyrinthe des Esprits », quatrième Tome du Cycle du Cimetière des Livres oubliés. Ce témoignage émouvant, courageux de Maria-Josepha Avila aurait pu avoir pour sous-titre le Labyrinthe des douleurs, celles qui se transmettent de génération en génération, dans le silence, dans le respect de tabous, de secrets étouffants, malsains. L'Espagne d'après Franco voudra faire table rase pour faciliter une grande réconciliation nationale. Libération des prisonniers politiques mais aussi amnistie pour des criminels de la pire espèce. Et surtout, par-dessus tout, effacement des mémoires de toutes leurs victimes assassinées et jetées dans des trous, comme si elles n'étaient Rien, Nada. Leurs noms ne seront plus prononcés. Comme s'ils portaient malheur.


Alors pourquoi leurs familles, leurs descendants n'arrivent-ils pas tous à continuer de vivre comme si rien n'était arrivé ? Depuis une vingtaine d'années, les enfants, petits enfants et derniers survivants prennent la parole, exigent des réponses, ravivent les mémoires, offrent ainsi à leurs disparus des sépultures réelles ou symboliques. Je repense au magnifique roman de Lluís Llach « Le théâtre des merveilles », ou celui extraordinaire, destiné à la jeunesse, de Ruta Sepetys « Hôtel Castellana ». Ici, ce n'est pas un roman, c'est le récit d'une quête ardue, éperdue, porteuse des souffrances d'hier et d'aujourd'hui, des cris en écho de tous les morts. Combien de bravoure il faudra à la petite fille du républicain Avelino Gómez Morillas, née en France, forte d'avoir grandi dans ce pays et non dans une Espagne pratiquant le mensonge par omission, encore sidérée par les traumatismes du passé, pour aller au bout du chemin. Ses enfants reprendront le flambeau, désireux de se rattacher à leurs origines ibériques et à cet Avelino, l'Absent. L'auteure ressent un manque abyssal face aux silences de sa mère et de ses deux tantes. Elle a porté sur ses épaules le chagrin maternel non exprimé et l'a transmis, comme une maladie génétique, à ses quatre enfants. Maria-Josepha Avila, ses filles, Agathe et Pauline, son fils, Louis, ne peuvent en rester là, ils doivent retrouver la trace de cet homme, crier au monde qu'il a vécu, s'est battu pour la liberté et la justice, et enfin, répondre à sa place à l'appel de son nom : Presente. "De España vengo, de España soy" : ces paroles de l'aria d'une Zarzuela de Pablo Luna résonnent dans le cœur de la descendance de ce martyre du franquisme. Le silence n'est plus de mise, la française entreprend alors le retour sur les terres des ancêtres afin de poser les mots, de les graver pour l'éternité comme sur la stèle commémorative au cimetière de Tarancón, en mémoire des républicains fusillés. Un très beau texte, d'une grande délicatesse quant aux mots choisis en français pour exprimer tout le Chagrin d'Espagne. Une mise en abîme nécessaire afin de poursuivre sa vie à partir de fondations solides. Je souligne le soin extrême de la mise en page et de l'impression de ce livre.

Quatrième de couverture

Quand la guerre hante les vivants. Une petite-fille de républicain espagnol part à la recherche d'elle-même et des mystères de son histoire. Le passé politique se mêle au passé familial dans une quête où l'autrice et l'Espagne rencontrent de remuants fantômes. Un passé qui ne passe pas. "
"Ecrire contre l'oubli et la dictature. Après la découverte de L'Art de perdre d'Alice Zeniter, le déclic, María-Josefa Ávila entreprend la rédaction de son livre : un récit de l'intime, un texte court et douloureux. Entre émotion et sidération : "Les questions tournent dans ma tête depuis si longtemps à propos de ce grand-père fusillé dont je ne connais que le prénom.
Elles bourdonnent comme des insectes qui viendraient se cogner contre les parois du verre qui les enferment.
Questions prisonnières du silence maternel. Mille fois je les ai posées..."

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