Magnifique !

Admirative quant à la plume, le style prodigieux de l'auteure et sa construction imaginative, mêlant la vie réelle de Marthe Gautier et celle fictive de Louisa Gorki. Une rencontre entre la réalité et le virtuel tout à fait étonnante, réservant de très jolis moments pleins de tendresse, de fantaisie et d'humour.

Furieuse et indignée de l'injustice et du vol que la grande scientifique Marthe Gautier a subi dès sa mise en lumière de la présence du chromosome surnuméraire chez les enfants atteints du syndrome de Down en 1958. C'est elle qui grâce à ses connaissances en matière de techniques de cultures cellulaires acquises lors de son stage à Boston, constatera la présence de ce chromosome surnuméraire sur la 21ème paire de chromosomes. 47 chromosomes pour les enfants atteints de trisomie 21 contre 46 pour les enfants sans pathologie. C'est elle qui reproduira la méthode de culture cellulaire avec les moyens de fortune trouvés en France, c'est elle qui achètera du matériel et même un coq pour son plasma (rapporté de sa campagne dans sa 4 CV! ), sur ses deniers personnels, pour mener à bien cette opération ; c'est elle qui notera absolument toutes ses trouvailles sur ses carnets. Effectivement l'idée de départ est celle du professeur Turpin, qui lui aussi constatera l'absence de son nom en co-paternité de la découverte de la trisomie 21.

Le coupable de cette usurpation, de ces vols, Jérôme Lejeune, qui partout s'est présenté comme l'unique découvreur, qui reçut frauduleusement le prix JF Kennedy, qui créa une fondation à son nom dont les buts et les méthodes sont des plus discutables voire illégales, qui fut présumé pour une béatification, oui vous avez bien lu....

Histoire de fou dont on douterait de la véracité du scénario tant elle est incroyable. Évidemment la Fondation Jérôme- Lejeune, sollicitée par Corinne Royer, a refusé de répondre à ses questions. Le scandale est connu dans les milieux scientifiques, l'ostracisme dont a été victime Marthe Gautier a été dénoncé par la presse, par des collègues, par le comité d'éthique de l'Institut national de la santé et de la recherche médicale en 2014. Les réponses de la Fondation Jérôme- Lejeune sont floues ou mensongères. L'indignité dans toute sa splendeur, proche des ultra catholiques, donc manoeuvrant contre les recherches à partir de fœtus ou l'avortement, au mépris de la loi tout simplement.

Cet organisme est allé jusqu'à envoyer des huissiers à l'hôtel où séjournait Marthe Gautier juste avant son intervention aux assises de génétique humaine et médicale à Bordeaux le 31 janvier 2014, pendant lesquelles elle devait recevoir le grand prix à l'unanimité du conseil scientifique de la Fédération française de génétique humaine. Elle aurait ainsi été enfin honorée pour son rôle dans l'identification en 1958 du chromosome 21 surnuméraire qui a transformé le mongolisme en trisomie 21. Mais évidemment la Fondation Jérôme-Lejeune, du nom de celui qui décédé en 1994 a effectivement participé à cette découverte, a décidé pour protéger sa situation financière, ses donateurs, ses intérêts, d'opter pour des méthodes d'intimidation ignominieuses et injurieuses pour Marthe Gautier mais aussi pour toute la communauté scientifique. La conférence de Marthe Gautier fut donc brusquement annulée.

Cette femme formidable, exceptionnelle, la Découvreuse oubliée ne l'est plus grâce à des gens de bien qui ne supportent pas l'injustice, mais aussi grâce à ce roman fabuleux et nécessaire. A la parution de ce livre Marthe Gautier a 93 ans.

Quant à la fiction elle-même, grâce au personnage de l'étudiante Louisa Gorki, elle gagne ses galons et devient une œuvre poétique, fantaisiste, belle, humoristique, dramatique, tendre, bouleversante, remarquablement écrite, O combien, un bonheur de lecture... Le prologue nous fait suivre Louisa rendant visite à Marthe dans son appartement de la rue de Douai pour lui faire lire sa thèse qui est devenue le récit d'un destin. Mais comment les chemins de ces deux femmes se sont-ils croisés ?

Dès le premier chapitre, nous sommes projetés dans le passé, à Fréjus dans la maison du poète, Louisa a dix ans, elle est déjà très intéressée par les sciences, son père est peintre, sa mère chanteuse lyrique. Celle-ci se prépare à partir pour trois jours comme son métier l'exige. Louisa et même le chien ressentent une vague inquiétude, le ciel devient noir lorsque la voiture disparaît au tournant du chemin... Elena Paredes ne reviendra jamais.... Les raisons de son départ et de son absence divulguées enfin à Louisa quelques temps plus tard par son père, seront à l'origine de ses choix de vie, de carrière, et de sa rencontre providentielle avec Marthe Gautier.

Nous rejoignons celle-ci alors au même moment à Ocquerre dans le pays du Brie, dans sa maison de famille, une ferme aux trois cheminées. Elle a bientôt 76 ans. "Quarante deux ans après la mise en évidence du chromosome 21, Marthe demeure celle qui convient de nommer la Découvreuse oubliée. " Sa vie va donc nous être contée.

« Mêlant une authentique controverse scientifique à un drame familial bouleversant, Corinne Royer place son manifeste pour une réhabilitation tardive au cœur d'un roman fougueux et fantasque, et célèbre les promesses fleurissant dans les creux dessinés par la perte. »