Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Au revoir là-haut T1
Pierre Lemaitre
Albin Michel
21 août 2013
576 pages
Thriller & historique
Chronique
8 mai 2017
Premier Tome de la Trilogie « Les Enfants du désastre », Prix Goncourt 2013.
"Pour le commerce, la guerre présente beaucoup d'avantages, même après."
Je n'ai pas aimé ce livre au thème si révoltant, comment l'aimer ? Mais je suis admirative de son auteur qui bien loin de ses thrillers diaboliques, nous offre un récit suffocant, insupportable, fabuleux, d'autant plus que les faits sont en partie réels, basés sur le « Scandale des exhumations militaires » qui éclata en 1922. Je ne peux même pas imaginer la fureur, le désespoir des familles des poilus massacrés au combat, quand elles comprirent que des charognards de la pire espèce avaient construit leur fortune sur leurs deuils, au mépris du respect dû aux morts , au mépris de la vie détruite de tous, vivants ou massacrés.
Ce roman vérité est un brûlot incandescent contre la guerre en général par le truchement du choix de la première d'entre elles aux méthodes modernes et chimiques de destruction massive, et tout cela pourquoi ? Pour le soit disant honneur des français bafoué suite à 1870 et aux territoires perdus lors des accords. Pour une obscène histoire de frontière, un vrai carnage a eu lieu, s'éternisant ensuite pendant des années terribles et indignes. Car nos poilus rescapés n'ont pas reçu l'accueil qu'ils méritaient à leur retour. Victorieux mais miséreux pour la plupart dans une France ruinée.
On ressent la nécessité et la passion de Pierre Lemaitre à transmettre cette histoire au travers de son écriture dense, aux phrases longues, aux chapitres lents et détaillés. L'intrigue en elle-même pourrait être vite résumée mais voilà : c'est un suspense psychologique parfaitement mené qui nous tient jusqu'à la fin.
Je garderai longtemps en mémoire ces symboliques masques comment autant d'apparences de ce début du XXe siècle qui s'écrouleront face au monde nouveau qui se profile, de cette tête de cheval mort, de l'odeur de la crasse, de la putréfaction des corps, de cette pourriture réelle ou morale qui dévore les hommes. Je repenserai longtemps aussi à ces deux rescapés de l'immense charnier de la côte 113, Albert Maillard anciennement comptable et Edouard Pericourt, sublime artiste telle un albatros sans aile, du commandant Henri d'Aulnay Pradelle abject et que j'ai voué aux gémonies, de monsieur Pericourt banquier et représentant de l'ancien monde qui cherchera sa rédemption paternelle et enfin, de sa fille la remarquable Madeleine dont on admire le courage en un temps où les femmes ne comptaient pas pour grand chose.
Livre remarquable qui m'a rappelé « Le garçon » de Marcus Malte où les victimes sacrifiées sont muettes, ne reste que l'écho de leurs cris grotesques.
« Je te donne rendez-vous au ciel où j'espère que Dieu nous réunira. Au revoir là-haut, ma chère épouse... » Derniers mots écrits par Jean Blanchard le 4 décembre 1914.