Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Au phare
Virginia Woolf
Editions des Femmes Antoinette Fouque Bibliothèque des voix
2019
9 h 29, lu par Fanny Ardant
Roman
Chronique
12 décembre 2019
Le texte lu est celui qui fut édité par Stock en 2009, traduit de l'anglais par Anne Wicke.
J'ai mis beaucoup de temps à finir mon écoute et dans son prolongement, ma lecture de ce roman phénomène, ce long« poème psychologique » pour reprendre les mots de Leonard Woolf. Son meilleur roman aux yeux de l'auteure, le plus intime, s'inspirant des décors de sa jeunesse, de sa famille, de ses parents également. Les blessures de l'enfance, les cicatrices sont ainsi ravivées, non dans un désir masochiste mais afin de comprendre le pourquoi de certains incidents. Le diable se cache dans les détails. N'a-t-elle pas assez analysé, décortiqué les évènements... Il semble que non, et son désir de vérité, sa vérité, est plus fort que tout.
De ce texte extrêmement intime, délicat, en nuances subtiles, nous nous sentons proches... Elle réussit le tour de force d'écrire un texte que nous nous approprions profondément... Il n'y a jamais qu'une seule lecture, qu'une version unique pour un roman quel qu'il soit, mais avec Virginia Woolf ce phénomène est décuplé. Sa partition devient nôtre, nous avons notre interprétation, nous y collons notre souffle, notre rythme, nos battements de cœur... Les phrases surtout au début, sont excessivement longues, faites de plusieurs strates, de digressions, d'accumulations. Il faut alors rester en apnée afin d'en saisir le sens final. Ainsi, d'une manière très impressionniste, l'écrivaine réussit à nous faire envisager les évènements de l'intérieur, mais aussi de l'extérieur, à recréer cette sensation très personnelle de nos pensées se déroulant dans un sens, dans une forme d'intemporalité, alors même que nous vivons une situation concrète, enracinée dans le présent. Nous sommes ici et à la fois, ailleurs. Cette notion, j'insiste, de temps universel est très importante : à l'instant T, le passé, le présent et le futur se rencontrent, se mêlent... à chaque seconde nous étions, nous sommes, nous serons....
Trois parties :Première partie :« La fenêtre », en quelque sorte le cadre, le décor, la maison de vacances sur une île d'Écosse. L'événement initiateur de toute l'histoire : James demande à sa mère s'ils pourront aller au phare en promenade... Mrs Ramsay, lui dit " Oui, bien sûr, s'il fait beau demain...mais il faudra se lever au chant du coq". Nous découvrons donc le couple Ramsey, lui philosophe égocentrique, cassant, dur, elle généreuse, empathique, souhaitant le bonheur de tous,
solaire, dévouée à sa famille, au centre de celle-ci, les huit enfants, et des invités entre autres Lily Briscoe, peintre et vieille fille.Virginia Woolf va découper au scalpel chaque micro événement de cette journée, analyser chaque mimique, respiration, tout en nous faisant découvrir le paysage. Elle est sans concession, ses personnages sont complexes, si proches de chacun de nous... Iront-ils finalement au phare ?
Deuxième partie : « Le temps passe », dix ans après, certains des personnages rencontrés reviennent dans la maison qui fut abandonnée... La guerre est passée... Que sont-ils tous devenus ?
Troisième partie : dans le prolongement « Le phare » enfin, certains y vont, lilye les regarde de loin tout en terminant, à l'instar de l'écrivaine, son tableau. Quelques touches pour parfaire le paysage... Un bateau au loin, la vigie tant espérée, une conclusion. Le livre se referme sur les souvenirs, il est temps d'ouvrir un nouveau cahier, d'entamer un nouveau chapitre.
Quand on est fan de Fanny Ardant, qu'on aime sa passion, son travail, sa liberté de création, d'interprétation, on ne peut qu'être admirative par cet enregistrement à part, très personnel, de ce texte. C'est un immense challenge relevé évidemment... Cet enregistrement est donc bien Fanny Ardant lisant Virginia Woolf... D'où des respirations plus ou moins rapprochées, quelquefois sur chaque mot, des silences, des suspensions, une voix inimitable, un état de grâce entre réalité concrète et semi conscience... Et ce timbre...
Cependant, ma partition, mon interprétation, mon appropriation de ce texte sont, de par la nature même de celui-ci, presque psychanalytique, très différentes. Mon rythme, mes respirations, mon tempo sont plus rapides afin de garder en mémoire le début des phrases si longues. Je me suis sentie, et cela est très subjectif, en décalage avec la lectrice et sa version. Ce texte m'est trop intime pour que je puisse être capable d'en écouter une autre voix. Ce n'est que mon ressenti... J'ai donc repris le livre paru chez Stock et ai eu la nécessité de le redire pour moi à voix haute... j'avais envie de réentendre Ma Virginia Woolf tout simplement...
Mais je suis certaine que cet enregistrement de Fanny Ardant restera dans les anthologies, un morceau de bravoure pour une immense artiste.