
Éva a lu pour vous ..
Chroniques littéraires
Adieu, Margot
Diana Adamek
Unicité
en 2024
224 pages traduites du roumain par Rodica Baconsky et Alina Pelea.
conte Historique
Chronique
27 juillet 2024

Aux Éditions Unicité dans la collection Éléphant Blanc,
"Je suis le roi, le vent, je suis le temps qui passe."
Grand roman historique, fresque épique, récit fantastique, texte d'une beauté singulière et d'une originalité incontestable.
Des moments de fureur, de drame, de comédie, de drôlerie, de vérité absolue se succèdent inlassablement. Le temps devient abstraction.
Étonnant scénario magnifié par un style littéraire unique. Voici un ouvrage à part. Jugez-en vous-mêmes :
Saint Denis de 1793 à 2016.
Vous penserez à une unité de lieu, évidemment. Ô, que nenni !
Préparez-vous à un grand voyage temporel et géographique décoiffant : la France, l'Italie, l'Égypte. Votre guide : Henri IV ou plutôt sa tête détachée de son corps un soir d'automne 1793 par une foule en furie se déchaînant dans la basilique Saint Denis sous les yeux effarés du gardien de ce lieu de sépulture royale, le sacristain Gustave le Mont. Deux amants dans cette nuée de fous furieux : Lorenzo, le révolutionnaire venu d'Italie, et la belle Arabella. Acteurs et spectateurs de ce déploiement de colère, de violence sur des charognes, des squelettes, sur tous symboles de la dictature monarchique et de ces Bourbons d'une omnipotence insupportable à l'origine de tant de malheurs et de désespoir. La scène est cataclysmique, effroyable. La jeune femme se fait comptable des corps, des vêtements, des bijoux et autres trésors volés, souillés...
Tout est sorti de la Basilique, la dernière capture est Henri IV, "porté sur les bras au-dessus des têtes, non qu'il soit pesant, il suffirait d'un souffle pour qu'il s'éparpille comme pissenlit au vent, tant la moisissure l'a rongé, mais personne ne veut plus mourir étouffé dans ses habits. [...] Pauvre de lui, le grand roi est détroussé de tout ce qui brille, sauf peut-être de la lumière de la fin, celle du dernier spasme, quand sa vie est passée devant ses yeux, cet éclat secret de sous les paupières que personne n'a voulu ou n'a pu fermer une fois sa dernière heure venue, l'éclat qui l'a suivi dans sa tombe, quittant les yeux partis en pourriture pour se lover dans le vide des orbites et y résister près d'un siècle, l'éclat que personne ne pourra plus lui dérober. Ni cette nuit, ni jamais ."
Ces hommes et ces femmes en fureur ne peuvent imaginer avoir libérer en réalité un monarque refusant de mourir, ce roi de France et de Navarre inoubliable.
Arabella au milieu de cet océan d'immondices, dont la robe rouge, telle celle de la reine Margot enfouissant la tête de son amant dans ses jupes, continue à compter. Elle ne sait que son destin est d'ores et déjà scellé, qu'elle sera la gardienne de cette tête couronnée d'un reste de cheveux roux ayant roulé jusqu'à ses pieds. Lorenzo est assassiné, le rouge se répand encore et encore. Vite fuir en emportant ce qui reste d'Henri, l'homme à l'oreille percée, caché sous son jupon comme porteur d'une nouvelle vie... préfigurant l'enfant à venir déjà présent au creux du ventre de la fugueuse... Ce fils prédestiné à devenir le jumeau symbolique du décapité.
À partir de cet instant, Arabella et toutes celles et ceux qui la suivront, seront comme hantés par le roi ne cessant de murmurer, de raconter, de revenir sur les évènements célèbres ou intimes qui ont jalonné son existence hors du commun.
Bénédiction ou damnation, la mission qui échoit à chaque nouveau gardien de cet étrange fardeau jusqu'à nos jours est lourde. Alors que les éléments se déchaînent, que les tempêtes de l'Histoire emportent tout sur leur passage, Henri murmure, râle, conseille, prévient, tel un ami, un prédicateur, un magicien, un fou, un sage.
L'immuabilité des choses nous saute aux yeux, nous qui avons l'insigne honneur de lire ce roman incroyable.
D'une pertinence et d'une poésie soufflantes !
Je vous laisse donc découvrir ces pages magnifiquement traduites, d'un lyrisme et d'une atemporalité remarquables.